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industrieuses font chaque année, sur leurs revenus, des épargnes qui constituent ce que l’on appelle, dans la langue économique, l’accumulation des capitaux. Ces capitaux de récente formation, que la production engendre au moyen des capitaux déjà existans, peuvent être consommés en largesses improductives, ou bien être employés à leur tour à l’accroissement de la richesse ; mais, comme il arrive rarement que le détenteur de ces instrumens de travail soit en position de les utiliser lui-même, le crédit s’en empare : on les prête, soit à des entrepreneurs qui les l’ont fructifier dans l’industrie ou dans le commerce, soit aux gouvernemens, auxquels est dévolue la fonction importante de faire régner l’ordre dans la société, d’y entretenir par là le mouvement et de concourir au progrès. Quand l’état emprunte, détourne-t-il de leur destination, comme l’avance M. Mill, les fonds actuellement engagés dans l’industrie ? Cela ne serait pas possible, car il faudrait, obliger les manufacturiers ou les commerçans qui ont reçu ces capitaux, et qui les ont incorporés à leurs usines, à les rembourser à court terme ; ce serait une immense et universelle expropriation. Quant aux capitaux qui se trouveraient encore disponibles, il est bien vrai que l’état, en les empruntant, évince d’autres emprunteurs individuels par sa concurrence, qui a le privilège de sa force ; mais je n’admets pas qu’il prélève ces capitaux sur les salaires des laboureurs ou des ouvriers. En temps de guerre, l’industrie, quand elle est sage, au lieu de courir après les entreprises, se modère et se restreint. L’argent que l’état n’absorberait pas risquerait donc, dans ces graves circonstances, de rester oisif ; la consommation des produits se resserrant ou tout au moins n’augmentant pas, la production ne choisirait pas ce moment pour prendre l’essor et pour se répandre en créations de matériel ainsi qu’en salaires. Les emprunts contractés en vue de la guerre n’ôtent donc pas le pain aux ouvriers. Ils leur donnent au contraire du travail sous une autre forme, en activant le mouvement des arsenaux quand celui des ateliers se ralentit.

Il est tout aussi gratuit de supposer que les subsides de guerre, quand on les lève par l’impôt, sont pris sur le superflu de la nation, sur l’excédant disponible de son revenu. L’impôt s’adresse en effet à tous les contribuables : l’impôt, étant obligatoire pour tous, les appelle indistinctement aux mêmes sacrifices dans la proportion de leurs moyens, soit qu’ils vivent du revenu d’un capital ou des fruits de leur travail. L’impôt est donc pris, selon les cas individuels, suivant que la fortune a favorisé ou contrarié les calculs de chacun, tantôt sur le superflu et tantôt sur le nécessaire, tantôt sur le revenu et tantôt sur le fonds qui sert à produire. Les taxes ordinaires, celles qui ne changent pas ou qui changent peu, finissent par s’incorporer