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comme il convient à un des qu’on fustige, porter et laisser ses oreilles au pilori des balles, pour expier quoique grand tapage ou scandale, quelque blasphème, ivrognerie ou léger larcin. Que pouvait-il devenir après celle exécution, sinon le « capitaine de la foire aux chétifs, » comme disait Eustache Deschamps, le chef de quelque bande de cinq cents malotrus si persécutés du sort, qu’ils n’eussent pu à eux tous montrer trois cents oreilles ? et quand il comparait ce spectacle de l’avenir qui attendait les fringans à la fin de leurs fêtes aux tableaux qu’il avait vus si souvent pendant son enfance, pendant que sa mère, au son des fuseaux, au milieu de tous les bruits de la famille heureuse et laborieuse, lui racontait les miracles de la douce dame, il se sentait oppressé comme par un cauchemar. Alors il laissait là le velours et le satin, et il reprenait avec ses habits de drap, qui étaient l’attribut de la bourgeoisie, le travail, qui était aussi l’honneur de cette bourgeoisie.

Une partie de sa vie était donc donnée aux études juridiques ; mais là encore Coquillart retrouvait quelques-unes de ces influences qui faisaient l’éducation de son génie littéraire. Si nous pouvions le suivre aux écoles pendant le temps où l’on discutait de la nature, des droits et de la position de la femme, nous entendrions le professeur enseigner les singulières doctrines de maître Drogon de Hautvillers, célèbre professeur de droit civil au XIIIe siècle. Ces considérations juridiques, d’une dureté naïve et brutale contre la nature féminine, devaient encore contribuer à augmenter dans Coquillart ce mépris de la femme, qui est un des plus singuliers côtés de son génie.

Au milieu de cette existence donnée tantôt au plaisir, tantôt à l’étude, la fin de ses études universitaires arriva, et le trouva oscillant entre les deux côtés de sa nature. Subirait-il l’entraînement de cette tendance à la vie et à l’observation extérieures ? Se laisserait-il emporter par le besoin de voir et par l’imagination ? ou bien obéirait-il à ces qualités qu’il avait plus particulièrement héritées de la bourgeoisie du moyen âge, l’intelligence des choses positives, le développement du sens commun et l’amour de la morale ?

En suivant la première de ces tendances, il pouvait prendre la littérature comme carrière, devenir le plus dévergondé des trouvères errans et sans soucis, exagérer en un mot son cynisme jusqu’aux Contredits de Marcoul et de Salomon, jusqu’au Dit de Richaud et au roman de Trubert, ou bien il pouvait encore, restant à Paris en qualité de secrétaire de quelque seigneur, lutter douloureusement au nom de la science contre son génie original et devenir à la longue un pâle disciple d’Alain Chartier. Heureusement la pensée de Dieu, le respect des traditions, la préoccupation de faire une bonne maison en suivant la carrière paternelle, le désir de ne point déshonorer son lignage, toutes ces idées avaient conservé encore une grande partie de leur pouvoir, et opposaient un puissant obstacle, à la vie de caprice et de fantaisie. Nous avons dit aussi que la fierté communale était fort développée dans la bourgeoisie rémoise, et toujours la vieille et noble cité avait exercé une fascination étrange, à laquelle nul de ses enfans n’avait pu résister. Toujours ils avaient les yeux tournés vers elle, l’honneur, presque la tête sacrée du royaume de France, et toujours c’était là qu’il leur fallait revenir. Eustache Deschamps lui-même ne l’avait-il pas dit ? Il n’y était point né pourtant ; mais quand il avait dû la quitter, il était parti bien malheureux. Longtemps il avait regardé