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ces mille clochers qui avaient sonné tant d’heures joyeuses, et lorsque le plus haut d’entre eux s’était confondu à l’horizon avec le ciel bleu de la douce Champagne, il s’était agenouillé et s’était écrié en pleurant : « Adieu te dis, noble cité de Reims. »

Coquillart voyait bien aussi que la littérature était devenue plus que jamais un accessoire, l’emploi d’un moment de loisir, non un métier. Guillaume de Marhault, poète champenois et secrétaire du roi Jean, était bien arrivé par la faveur de la cour jusqu’au canonicat de Reims ; mais la faveur royale, ne se tournait plus maintenant que vers les gens de guerre. La féodalité s’en allait aussi ; les seigneurs n’étaient plus que de pauvres protecteurs, et il se rappelait quelle peine Deschamps avait eue à obtenir une houppelande du duc de Bourbon et un cheval du duc de Bar. — À gens de lettres honneur sans richesses, — disaient les vieux proverbes, qui faisaient au contraire toute sorte de gracieuses promesses au noble métier de l’advocasserie, car l’argent tremble devant la porte du juge et de l’avocat, tant il est sûr d’y entrer un jour, et le vent n’entre jamais dans la maison d’un procureur, tellement ce bienheureux argent en bouche tous les trous. S’il est vrai d’ailleurs que les hôtels des avocats sont faits de la teste des fols, notre bachelier es-lois savait bien qu’il trouverait dans sa ville natale les matériaux d’une belle construction. Peut-être aussi entrevoyait-il déjà, dans un lointain avenir, quelque vieille figure ridée, mais joyeuse encore, coiffée du bonnet rond aux riches fourrures et appuyée sur le dossier sculpté d’une stalle de chanoine. Il lui semblait qu’en passant on saluait dévotieusement cette honorable personne du nom de monseigneur Guillaume Coquillart ! Il n’ignorait pas en effet que le canonicat était parfois dans la cité la récompense suprême de l’intelligence unie à une vie chrétienne et laborieuse.

Il revint donc à Reims s’installer à titre de practicien, ce qui était se faire moitié avocat, moitié procureur. Il rentra sans arrière-pensée dans la bourgeoisie ; il y fit rentrer aussi, comme à leur bercail, son esprit, son intelligence, ses instincts et ses désirs. Il se sépara complètement des influences hostiles à la moralité de sa vie, à l’originalité de son génie, et il se jeta résolument dans le travail.


III. – INSTALLATION DANS LA CITÉ.

Pendant le temps que Coquillart avait passé loin de sa ville natale, le calme et la paix, qui y étaient entrés à la suite de la royauté, avaient de jour en jour étendu leur influence. On avait bien senti encore, et on les sentira jusqu’à la fin du siècle, ces sortes de soubresauts sans lesquels ne finissent ni les guerres civiles ni les révolutions : le menu peuple surtout avait été fortement ému par une sorte de prédécesseur de Luther, Thomas Connecte, qui s’en allait faisant par toute la France une guerre acharnée aux hennins, aux grandes cornes, à tous les atours des femmes ; mais la foi en la royauté et le respect de l’autorité étaient revenus, tout tendait à rentrer dans son état normal. La bourgeoisie rémoise avait tellement souffert pendant sa période d’orgueil et d’indépendance, elle aimait tellement ce roi qui l’avait délivrée des angoisses de la dictature, qu’elle s’abandonna à lui tout entière, et l’on