Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/1040

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

matiques modernes ont si peu réussi littérairement. Malgré tous les efforts et tous les essais, malgré tous les éclairs de talent, il n’y a point eu un esprit créateur, un génie vigoureux, pour renouveler la scène et imprimer à la littérature dramatique un cachet d’originalité et de puissance. Ce génie ne s’est point trouvé dans la première période de ce siècle ; se rencontrera-t-il dans celle qui commence ? Chaque jour n’en a pas moins sa moisson d’œuvres nouvelles, et c’était l’autre soir le Théâtre-Français qui représentait une tragédie de M. La tour de Saint-Ybars, sous le nom de Rosemonde. Le Théâtre-Français n’est point heureux avec la muse tragique. Il s’est trouvé récemment entre deux tragédies, — Médée et Rosemonde. Quelle était la meilleure ? Il pouvait choisir indifféremment ; mais, par une fatalité singulière, il s’est mis en procès avec Médée, et il a joué Rosemonde, qui n’a eu qu’un succès médiocre. L’œuvre de M. Latour de Saint-Ybars contient sans doute quelques situations fortes et des vers bien frappés ; malheureusement on ne sait trop en vérité quel nom lui donner : elle tient de la tragédie et du drame, elle réunit les défauts des deux genres. L’auteur met en mouvement le monde barbare et le monde romain, les Lombards et les Gépides, pour arriver à faire un acte de tragédie ! Ce n’est point de la brièveté de la pièce que nous nous plaignons ; c’est de la disproportion du sujet et du cadre. La tragédie nouvelle d’ailleurs, il faut le dire, est loin d’avoir été bien servie par Mlle Rachel, à qui le rôle de Rosemonde était confié. Mlle Rachel a eu un malheur que tout grand et sérieux artiste devrait avec un soin jaloux écarter de soi : elle a oublié ce qui fit la gloire de ses premiers commencemens, ce qui était son talent, cette nette et pure diction qui fit d’elle un jour l’interprète naturel de Corneille et de Racine. Mlle Rachel ne prononce plus, la moitié de chaque vers disparait dans sa bouche. C’est qu’en réalité on ne résiste pas aux épreuves dans lesquelles elle s’engage ; on ne se forme pas à parier cette belle et noble langue du xviie siècle en parcourant tous les théâtres et tous les pays. Justement, par le genre de son talent, Mlle Rachel est l’artiste qui peut perdre le plus dans ces luttes impossibles ; elle arrivera au but de cette carrière fiévreuse après avoir perdu ses qualités premières, et elle ne comptera plus que comme un souvenir dans l’art, comme l’exemple d’un talent volontairement diminué. Est-ce là un avenir fait pour tenter une ambition d’artiste ?

Et maintenant revenons à la politique et à ses scènes fort diverses, à ses épisodes toujours nouveaux, à ses discussions positives. La Belgique vient d’avoir ses débats parlementaires, où toute la politique du pays a été agitée, où la question de l’existence du ministère a été discutée. Quel a été le résultat de ces débats engagés au sujet de l’adresse en réponse au discours du roi ? La politique générale de la Belgique est restée la même, et le ministère s’est trouvé raffermi, pour le moment du moins. On se souvient des circonstances dans lesquelles s’est formé le cabinet belge actuel, dont M. Henri de Brouckère est le principal membre. Il est né, il y a deux ans, dans un moment où les deux grands partis du pays étaient égaux en force dans le parlement, et où aucun d’eux n’aurait pu occuper exclusivement le pouvoir. Le cabinet de M. Henri de Brouckère venait justement inaugurer une sorte de trêve ; il adoptait une politique de conciliation, il était d’ailleurs composé de libé-