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nation et des arts, tout ce monde terrible ou futile qui va du drame le plus émouvant au plus mince vaudeville, était à lui, il a vu passer bien des engouemens, bien des succès éphémères ; il a vu tous les types de la vie moderne se succéder dans la littérature ; il a assisté à tous les excès comme à tous les triomphes au milieu d’un monde qui se transformait chaque jour c’est tout cela que son livre reproduit avec la fidélité d’une impression instantanée. Il en résulte nécessairement une certaine confusion dans ce livre, qui ranime toute une époque. M. Janin s’est appelé lui-même un jour le critique : ce n’est point peut-être le critique, mais c’est à coup sûr un critique, dernier né de Diderot, auquel il élève quelque part une statue, mettant comme lui sa sensibilité, son imagination, ses enthousiasmes dans ce qu’il écrit. C’est encore mieux un journaUste, pourrait-on dire, — et en sentant les grandeurs de ce métier de journaliste, ne croyez pas qu’il ignore ses misères, ses conditions terribles, tout ce qui compose cette vie dévorante, suivie d’un prompt oubli ! Il est certainement peu de fragmens plus éloquens que quelques pages consacrées à Martainville, un journaliste inconnu aujourd’hui, qui mourut après 1830. De même aussi M. Janin s’adressera à tous les jeunes esprits qui ont la fantaisie cruelle de jouer dans leurs inventions avec toutes les impuretés et toutes les horreurs. — Prenez garde, leur dira-t-il, un jour quelqu’un viendra tirer de l’oubli ce souvenir, dont rougira votre esprit plus mûr. Vous aurez, vous aussi, votre robe de Nessus. Si ce n’est qu’un paradoxe que vous aurez lancé dans le monde en un moment de caprice, prenez garde encore que le pli moqueur ne reste en vous, et que vous ne vous accoutumiez à vous amuser de tout, des autres et de vous-mêmes. — Ainsi parle ou à peu près M. Janin, et il fait lui-même sa confession au sujet de l’Ane mort et la Femme guillotinée. Ce ne sont donc pas les pages éloquentes ou bien inspirées qui manquent dans cette Histoire de la Littérature dramatique. Qui que vous soyez cependant, vivans ou morts, tâchez de ne point vous trouver sur le chemin de M. Janin, un jour où par hasard il aura oublié ce qu’il faut faire. Il saura transformer au besoin l’éloge en satire, il vous exécutera avec toute la grâce d’une imagination enthousiaste. Pourquoi ? Pour ne point laisser passer l’occasion de tracer un parallèle, pour opposer la nuit au jour, l’esprit à la déclamation prétentieuse, le talent à la vanité maladive, et pour arriver, en fin de compte, à ne pas toujours donner raison au talent et à l’esprit ! N’est-ce pas ce qui lui est arrivé l’autre jour en parlant de la mort de M. Loève-Veimars, cet écrivain si fin et si délicat, qu’il avait l’air vraiment de sacrifier à l’auteur de la Profession de foi du dix-neuvième siècle ? M. Janin devait-il mêler la voix d’un homme de talent à toutes les voix qui semblent poursuivre de tant d’anecdotes suspectes la mémoire de ce pauvre homme d’esprit ?

Combien d’œuvres dont M. Janin raconte l’histoire, combien de ces œuvres ont déjà vieilli et sont éclipsées de la scène, où elles n’ont brillé qu’un moment ! Combien de comédies, de drames, de tragédies, n’auront pas même un nom dans l’histoire littéraire de notre temps ! Les œuvres qui avaient le plus de prétentions à la nouveauté ne sont point celles qui ont le moins vieilli peut-être, et l’historien du théâtre contemporain aurait pu naturellement se poser à lui-même cette question grave, de savoir comment les tentatives dra-