Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/1045

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France était atteinte à toutes les sources de sa vie, et voyait lui échapper le présent sans être en mesure de s’ouvrir par elle-même aucun horizon. Incapable de supporter la république, plus incapable encore de revenir à la monarchie, elle était le jouet de partis qui ne lui présentaient en perspective que des solutions impossibles.

« La Providence la sauva comme elle l’a sauvée d’ordinaire aux crises décisives de son histoire, en suscitant un homme devant lequel toutes les factions firent silence, et qui prononça des mots qu’aucune d’elles n’aurait su trouver. Cet homme vint non pour contraindre le pays à abjurer la révolution qu’il avait faite, mais pour séparer dans celle-ci les aspirations légitimes des idées qui les avaient si odieusement compromises. Sans esprit de réaction comme sans engouement, et soutenu par une confiance sereine en lui-même et en son œuvre, il reprit le travail d’unité administrative, d’égalité sociale, de liberté politique et religieuse, que la révolution de 89 avait promis sans l’accomplir. »

L’auteur apprécie successivement l’œuvre du consulat, puis celle de l’empire, dans leurs conséquences et dans leurs fortunes si diverses. Avec la restauration, la bourgeoisie française se retrouve de nouveau appelée à exercer un rôle politique, et on est ramené au sujet même du livre, qui est l’histoire du gouvernement représentatif en France depuis la révolution jusqu’en 1848. Nous laissons ici la parole à M. de Carné. Nous tenons à montrer avec quelle honorable franchise M, de Carné a su apprécier la révolution de 1830 sans oublier les égards dus à un régime qu’il avait servi.

« La monarchie de juillet ne déclina aucune des conséquences de la liberté ; elle triompha des partis sans les opprimer et conquit en Europe, sans guerre et sans sacrifice, la place qu’on aurait tant aimé à lui refuser. Confiante dans les intérêts nombreux groupés autour d’elle et dans la puissance de l’idée qu’elle représentait, elle réalisa, à un degré qui ne s’était pas encore rencontré, ce gouvernement du pays par le pays et cette mise au concours du pouvoir par l’intelligence qui forment la double base du système constitutionnel.

« Mais sitôt que les difficultés suscitées par l’établissement de la monarchie nouvelle furent honorablement résolues, lorsque celle-ci put s’asseoir au sein des grands pouvoirs européens, avec sa physionomie à la fois pacifique et libérale, les questions de personnes succédèrent aux questions de choses au point de les déborder. Après que le pouvoir, à force de courage et d’habileté, eut assuré contre les factions la sécurité publique et le repos du monde, il ralentit son action comme s’il eût épuisé tous les problèmes, perdant son initiative au moment même où le désordre, chaque jour croissant dans la sphère parlementaire, paraissait révéler la convenance d’en user plus résolument. Les plus hautes questions de l’ordre moral et politique auraient pu devenir pour les partis, au sein des chambres, l’occasion heureuse de classemens nouveaux, et leur mise à l’étude aurait eu du moins cet avantage de contraindre les ambitions à s’abriter derrière des idées, au lieu de se donner pour but avoué la seule possession du pouvoir. Ou je m’abuse, ou l’on pouvait entreprendre, dans le sens même des intérêts conservateurs, les réformes les plus larges et les plus utiles, en remaniant des institutions créées sur un type aristocratique pour les mettre en harmonie