Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/1188

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’idée change et se développe avec l’âge ; elle grandit avec l’intelligence. Quand elle prend l’homme enfant, elle se fait petite et se proportionne à sa taille, puis elle s’élève à mesure qu’il s’élève et l’accompagne ainsi pendant tout le cours de la vie. Ce que fait l’enfant, l’humanité l’a fait ; elle a suivi le même chemin ; elle a été d’abord idolâtre, puis déiste, et les déistes, qui sont devenus chrétiens, ont su, quand ils ont adoré à la fois un homme dans un Dieu et un Dieu dans un homme, trouver tour à tour, pour parler le langage de Rousseau, le Dieu nécessaire à l’imagination de l’homme et le Dieu nécessaire à son entendement. Voulez-vous laisser de côté l’acheminement du monde au christianisme ? L’homme a passé de l’idolâtrie au déisme, comme le fait l’enfant, par le développement de son intelligence, sans que l’idolâtrie enfantine de ses premières années ait nui au déisme pieux et éclairé de son âge mûr. « À mesure que les hommes sont devenus plus parfaits, les dieux le sont devenus aussi davantage, dit Fontenelle, que je cite ici volontiers, parce qu’il n’est pas un père de l’église. Les premiers hommes sont fort brutaux, et ils donnent tout à la force ; les dieux seront presque aussi brutaux et seulement un peu plus puissans ; voilà les dieux du temps d’Homère. Les hommes commencent à avoir des idées de la sagesse et de la justice ; les dieux y gagnent, ils commencent à être sages et justes et le sont toujours de plus en plus à proportion que ces idées se perfectionnent parmi les hommes. Voilà les dieux du temps de Cicéron, et ils valaient bien mieux que ceux du temps d’Homère, parce que de bien meilleurs philosophes y avaient mis la main[1]. » Ainsi, dans l’humanité, l’imagination ébauche l’idée religieuse et la raison l’achève, ou plutôt Dieu se révèle à chaque siècle selon l’intelligence du temps. Ce que Dieu fait pour les divers siècles de l’humanité, il le fait aussi pour les divers âges de l’homme, et il est le Dieu de l’enfant comme il est aussi le Dieu de l’homme mûr ; il ne se dérobe à aucun esprit, si petit qu’il soit ; il ne se cache à aucun regard, si faible qu’il soit. L’homme arrive à Dieu par l’imagination, par le cœur, par la raison, par tout ce qu’il y a en lui d’idées et de sentimens, sans que ses idées ni ses sentimens aient jamais besoin d’être aussi hauts et aussi grands que leur objet.

Puisque l’enfant, toute faible qu’est son intelligence, est capable de religion, comment la lui enseigner ? Il est curieux de voir comment Fénelon veut qu’on enseigne la religion aux enfans : il semble en vérité avoir prévu les objections de Rousseau. Il craint si peu que le Dieu des enfans ne soit le Dieu de l’imagination, qu’il prescrit de leur enseigner la religion à l’aide d’images et de récits,

  1. Fontenelle, de l’Origine des Fables, tome III, p. 277.