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temps ambassadeur, homme d’un grand monde, M. de Sainte-Aulaire a laissé une Histoire de la Fronde qui avait été son titre académique, et qui mérite de lui survivre par l’habileté avec laquelle est pénétrée et dépeinte cette époque de la minorité de Louis XIV. Esprit cultivé, M. de Sainte-Aulaire réunissait en outre deux conditions essentielles pour écrire l’histoire avec simplicité et avec vérité : il savait le monde, et il connaissait les affaires. Ainsi l’Académie se trouve avoir en même temps à remplacer M. de Sainte-Aulaire et M. Ancelot, qui est mort également il y a quelques mois.

Quels seront les nouveaux élus ? Les candidats ne manquent point, on le pense ; il y en a de tous les genres, il y a ceux qui ont fait une tragédie et ceux qui n’ont rien fait, ceux qui ont eu de tout temps la vocation académique et ceux pour qui l’Institut est une sorte de refuge dans la tempête. Par malheur, il est souvent difficile de savoir quelle pensée dirige l’Académie dans ses choix. Une élection est un champ de bataille où se déploie la plus savante stratégie. Ce n’est pas trop de tout le génie des combinaisons électorales ; il faut peser les nuances, faire la part du monde et celle des lettres, compter avec les influences, choisir parmi les écrivains, non d’après leur talent, mais d’après certaines convenances. Quoi qu’il en soit, M. Ponsard semble devoir être un des candidats favorisés de l’Académie dans les prochaines élections. La tragédie, on le voit, porte bonheur, même quand elle se présente sans un trop grand génie d’invention, sans ces qualités puissantes d’une vigoureuse et originale poésie. Certes, bien que M. Ponsard se soit plaint quelquefois de la critique, il y aura eu peu de carrières plus faciles et moins remplies ; mais M. Ponsard représente la tragédie, et cela suffit. Dans toutes ces élections où elle déploie tant de tactique, où la politique elle-même trouve sa place, l’Académie atteint-elle toujours son but ? Exerce-t-elle l’influence qu’elle pourrait naturellement exercer par ses choix et par ses exemples ? C’est par ce double moyen surtout qu’elle pourrait rappeler sans cesse les conditions supérieures de la vie intellectuelle, maintenir l’autorité des grandes traditions de l’art et de la pensée au milieu de la liberté permise à tous les efforts et à toutes les entreprises de l’esprit littéraire d’un temps.

Il est donné à la littérature, dans la variété complexe de ses manifestations, de toucher à tout et de tout remuer, d’ouvrir tous les domaines de l’imagination et de la pensée, ou d’éclairer d’un jour étrange quelques-uns des côtés les plus saisissans de la vie contemporaine. Dans ce mouvement des lettres, il est même parfois des livres qui se confondent avec certains épisodes dramatiques de la réalité, qui en sont en quelque sorte la continuation ou le commentaire, ainsi qu’il arrive aujourd’hui de ce récit vigoureux laissé par le comte Gaston de Raousset-Boulbon, — une Conversion. Étrange destinée de cette œuvre et de celui qui l’a écrite, qui l’avait oubliée peut-être ! C’est la mort hasardeuse et tragique de l’auteur qui a fait songer à mettre au jour une Conversion. Nous savons ce qu’on peut dire de cette vie si tristement dénouée ; il n’est pas moins vrai qu’il y avait dans cet homme, jeune encore, le fonds d’une nature valeureuse et chevaleresque. Autrefois M. de Raousset-Boulbon eût été aisément un chef remarquable, un de ces hardis et intrépides aventuriers qui se précipitaient vers le Nouveau-Monde. Aujourd’hui il n’a réussi qu’à mener une existence déclassée, portant partout sa fierté de gentil-