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plissant un acte de cette nature, le souverain pontife a dû se demander sans nul doute si l’heure était opportune, s’il n’y a point toujours quelque danger à toucher à l’immutabilité de la foi, à représenter le catholicisme comme incomplet dans son symbole depuis tant de siècles, enfin à transformer en dogme une croyance religieuse, fût-elle universelle. Toutes ces questions ont dû se présenter à l’esprit du chef de l’église. Si elles se sont réveillées tout à coup, si elles ont été jetées dans la discussion, c’est peut-être qu’elles se lient à un mouvement étrange, à tout un effort d’opinion et de passion pour faire prévaloir les doctrines les plus absolues. Il est des hommes pour qui la liberté et la modération sont d’éternelles ennemies ; ils veulent l’absolutisme dans la religion comme dans la politique. Et quel est le plus clair résultat de ces tendances passionnées et exclusives ? C’est de compromettre la religion elle-même, de jeter la division dans le clergé en partageant ses membres en deux camps, les ultramontains et les gallicans, de réveiller toutes ces luttes où un prélat chargé d’années, l’ancien évêque de Chartres, Mgr Clausel de Montais, intervient à son tour en dénonçant au souverain pontife ce qu’il appelle une cabale artificieuse répandue en Italie et en France. Dans une brochure sous le titre de Coup d’œil sur la constitution de la religion catholique et sur l’état présent de cette religion dans notre France, Mgr Clausel de Montais s’élève avec une vigueur singulière contre ces docteurs nouveaux qui prétendent flétrir les grandes traditions de l’église de France, qui persécutent les opinions les plus consacrées, qui veulent tout transformer et tiennent même à donner la couleur ultramontaine à l’habit du prêtre. Quand on s’efforce de supprimer les traditions gallicanes, quand on veut pousser la religion dans cette voie de l’absolutisme universel, il y a cependant deux choses à considérer : c’est que l’église de France est certainement une des plus dignes par les lumières comme par les vertus, et qu’elle s’est formée justement sous l’empire de ces traditions qu’on répudie ; il n’est pas moins vrai que si la religion a retrouvé un juste et légitime ascendant sur les âmes, c’est sous les régimes qu’on décrie et par la liberté qu’elle s’est relevée, au point de voir une révolution s’arrêter désarmée devant elle. C’est à l’abri de la liberté des opinions et des consciences qu’une réaction religieuse spontanée s’est produite. Il reste à savoir ce que la religion et l’église pourront gagner dans les routes périlleuses, où l’on prétend les ramener.

Ces questions toujours graves et délicates, parce qu’elles touchent aux plus secrets ressorts de l’âme humaine, laissent suffisamment apercevoir ce qui s’agite de notre temps dans le monde religieux. Elles ne peuvent évidemment s’élever à un égal degré dans les affaires de l’intelligence et de la littérature, qui ne sont pas peut-être d’un gouvernement plus simple, mais qui dans tous les cas ont une autre manière d’intéresser et de passionner. Les affaires de l’intelligence intéressent par toutes les manifestations de l’esprit, par les œuvres qui se succèdent, par le travail des imaginations, par la révélation des talens nouveaux, aussi bien que par la disparition des talens éprouvés. L’Académie y a sa place naturelle certainement, et peut-être cette place pourrait-elle être plus grande encore. L’Académie a perdu, il y a quelques jours, un de ses membres les plus distingués, M. de Sainte-Aulaire, dont le nom avait marqué dans la politique autant que dans les lettres. Long-