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taille. En haut, la nuque blanche et pleine de vie de son cou dégageait tout à l’aise une jolie bouclette de petits cheveux récalcitrans sous le bavolet du chapeau. J’avançais machinalement en me heurtant aux passans, qui avaient tout droit de me prendre pour un fou. Je me trouvai arrivé à l’église sans m’en être aperçu.

Mme Lucie prit une chaise et s’y laissa tomber sur ses genoux d’une façon hâtive qui me semblait révéler un certain accablement. Au lieu d’ouvrir son livre, elle mit ses deux mains sur ses yeux, et sembla se plonger ainsi dans une méditation profonde. Comme depuis quelques jours le temps était à l’orage, j’entendis inopinément au dehors le bruit des gouttières. Mme Lucie n’avait pas de parapluie. Comme la messe était à moitié dite, je m’empressai de sortir pour en trouver un à tout prix. Le mien n’était que de coton, c’est-à-dire lourd, et déjà tout déteint. Je courus chez Pidoux, qui en avait un superbe. Comme je rentrais à l’église, la messe venait de finir. J’étais percé jusqu’aux os. La préoccupation du chef-d’œuvre d’éloquence auquel je me croyais tenu en pareille passe m’avait fait oublier d’ouvrir le parapluie de Pidoux. Mme Lucie était toujours dans la même posture. Je m’approchai d’elle en retenant ma respiration, qui était devenue bruyante par l’effet de la course ; je touchai légèrement du doigt son châle. Elle fit un soubresaut en se retournant surprise. Ses yeux étaient rouges. Cependant il me sembla qu’ils se rassérénaient un peu en m’apercevant.

— Madame, il pleut !… soupirai-je en lui présentant le parapluie. Tous mes beaux projets d’éloquence venaient d’échouer misérablement sur ces trois mots.

— Quoi ! c’est vous, mon bon Tanisse !… oh ! merci !

Enchanté de cette réponse, je m’étais aussitôt retiré à mon poste d’observation. Bientôt je vis Mme Lucie se retourner avec embarras. Elle m’aperçut et vint à moi.

— Mon bon Tanisse, vous ne m’avez pas dit où je dois vous le renvoyer.

— Si madame a la bonté de le prendre avec elle, je viendrai le rechercher ici demain.

— Eh bien ! oui.

Là-dessus je me retirai tout à fait. J’étais sûr désormais d’entendre encore une fois Mme Lucie prononcer mon nom le lendemain. J’étais sûr même que pendant le jour sa pensée serait un peu occupée de moi. J’aurais embrassé volontiers tous ceux que je rencontrais, tant je me sentais heureux.