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devient dans ces conditions le régime représentatif. Ajoutez à cela une royauté restée, malgré tout, étrangère, qui se considère elle-même comme telle, et que la Grèce regarde presque comme un hôte dans le palais d’Athènes. Le roi Othon fait ce qu’il peut pour plaire à son peuple. Il cède à ses entraînemens, à ses passions ; il revêt au besoin le costume du pallicare ; le fond cependant reste allemand dans la petite cour hellénique. La reine elle-même, avec une imagination plus ardente et plus de décision de caractère, s’entoure volontiers de l’étiquette germanique. La royauté sert à préserver la Grèce d’une anarchie plus grande, mais elle a peu fait jusqu’ici pour le développement moral, politique ou matériel du pays. Le régime constitutionnel est une fiction à travers laquelle se font jour toutes les infirmités et les incohérences du royaume hellénique.

Est-ce à dire que la Grèce manque des conditions nécessaires pour revivre d’une vie nouvelle ? Le peuple grec est resté certainement un des peuples les plus intelligens de la terre. Il réunit même bien des qualités qui rendent possible l’application du régime constitutionnel. L’instinct de l’égalité est inné chez lui, et établit entre les classes des rapports qui vont jusqu’à une familiarité singulière. Il tient de sa race le goût et le besoin de s’occuper des affaires publiques. Il a l’amour naturel de la liberté ; mais cet instinct de la liberté, poussé jusqu’au sentiment excessif d’indépendance individuelle, prend parfois, il faut le dire, des formes étranges : il devient la piraterie ou le brigandage, et les Thermopyles sont hantées par de tout autres personnages que des Léonidas. Le peuple grec est industrieux et a le génie du commerce, mais il aime peu le travail. Il est patriote surtout, et c’est le trait le plus éclatant de son caractère ; mais son patriotisme se compose d’élémens singuliers : tantôt il se manifeste par une passion jalouse et exclusive d’individualisme, comme cela est arrivé dans la loi sur les autochthones, qui exclut des emplois publics tous les Grecs qui ne sont pas nés dans le petit royaume actuel ; tantôt il se laisse aller, comme on l’a vu récemment, aux ambitions démesurées. Constantinople est le grand but. C’est une croyance populaire que du sommet du Taygète le 1er juillet on aperçoit à l’horizon la ville du Bosphore. De simples paysannes endorment leurs enfans en leur chantant : « Dors, mon petit pallicare, je te donnerai quelque chose de beau, Alexandrie pour ton sucre, le Caire pour ton riz, et Constantinople pour y régner trois ans. » Dans le serment qu’ils prêtent au roi, les membres du synode n’oublient pas le vœu d’agrandissement pour la royauté grecque. C’est ainsi qu’entre ces tendances diverses, ce patriotisme étrange manque le but réel, qui devrait être de travailler d’abord à régulariser la Grèce actuelle avant de songer à l’agrandir. Les Grecs viennent d’être victimes de ce patriotisme périlleux, et c’est l’œuvre du ministère de M. Mavrocordato de réparer les désastres de cette politique chimérique dans son objet et ingrate envers l’Occident. Le cabinet d’Athènes a bien plus è faire qu’à effacer les traces des dernières insurrections : il a la difficile mission de réorganiser le pays, de prendre en main la ferme direction de tous les intérêts moraux et matériels, et de donner enfin à la Grèce un caractère sérieux parmi les peuples.

Il est heureusement des peuples plus favorisés, qui prospèrent sous le bienfaisant régime des institutions libres, et la Belgique est de ce nombre aussi bien que la Hollande. Ce n’est pas que ces pays soient exempts de crises ;