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tra- à la faveur de ses institutions monarchiques. En sera-t-il de même de ces autres pays espagnols du Nouveau-Monde ? Cette année a eu le triste privilège d’être éprouvée par bien des épidémies. Au-delà de l’Atlantique, il y a une épidémie véritable de guerres civiles et de révolutions, et on compterait à peine un ou deux pays, qui aient échappé à l’invasion. Il y a quelques mois déjà, la Nouvelle-Grenade voyait surgir à Bogota une dictature militaire dont on ne sait encore si le président légal, le général Obando, est le prisonnier ou le complice. C’était le fruit amer de cette domination démagogique qui s’est emparée de la république grenadine depuis quelques années. Quoi qu’il en soit, le nouveau dictateur, le général Melo, supprimait la constitution, dispersait les autorités légales et restait maître de Bogota. Son autorité réelle, il est vrai, était enfermée dans les murs de la ville ; de toutes parts, la résistance éclatait dans les provinces, et elle avait pour chefs des hommes de tous les partis provisoirement ralliés sous le drapeau de la constitution violée. Le général Tomas Herrera s’emparait de l’autorité exécutive, à défaut du président, resté à Bogota. Le général Lopez se rendait dans le sud pour aller lever des soldats au nom de la résistance. Le général Mosquera, ancien président conservateur, prenait le commandement des provinces de l’Atlantique. Ainsi d’un côté c’était la dictature, de l’autre un mouvement de résistance assez confus, organisé sous le drapeau d’une légalité constitutionnelle qui avait justement contribué à jeter le pays dans cette anarchie. La dictature disposait des forces les plus sûres de l’armée. L’insurrection avait pour elle l’appui des provinces. Les deux partis n’ont pas tardé à en venir aux mains, et les premiers engagemens n’étaient pas fort décisifs. L’insurrection s’occupait cependant de se régulariser, et un congrès extraordinaire a dû se réunir à Ibague. Le premier acte des chambres paraissait devoir être la mise en accusation du général Obando, à qui on reproche d’avoir favorisé le mouvement dictatorial sans oser se mettre à sa tète. Il y a en effet, ce semble, des motifs assez plausibles. Sous prétexte qu’il était tenu prisonnier, Obando est resté à Bogota, où il vit dans une asez grande intimité avec le général Melo, qui a pour lui toute sorte de déférences. Quant à la dictature, elle n’a point tardé à recourir aux moyens les plus extrêmes, Manquant de tous moyens financiers, le général Melo a imposé une contribution forcée sur les négocians et les riches propriétaires, lesquels n’ont pas mis, on le conçoit, un grand empressement à s’exécuter, soit qu’ils fussent cachés, soit qu’ils n’eussent pas réellement l’argent qu’on leur demandait. Alors on a employé un procédé infaillible. Ceux qu’on a pu saisir, on les a enfermés dans un cachot, en les privant d’air, de lumière, de nourriture, jusqu’à ce qu’ils aient fini par payer, afin d’échapper à une mort affreuse. La femme d’un riche capitaliste de Bogota n’a pu supporter cette épreuve, et on l’a trouvée morte dans sa prison. Tel est le spécimen étrange des excès de cette anarchie de la Nouvelle-Grenade.

Le Pérou, pour sa part, est agité depuis un an par une guerre étrangère, et depuis six mois par la guerre civile. La révolution intérieure a suspendu naturellement la lutte engagée avec la Bolivie, qui s’est trouvée merveilleusement servie par cette circonstance. Si du reste le président bolivien, le général Belzu, a trouvé un auxiliaire dans l’insurrection