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Probablement que le concierge m’aura donné une fausse indication, ou que je me serai trompé, puisqu’au lieu de m’adresser chez elle j’ai frappé à votre porte.

Antoine, qui observait son frère, s’aperçut que Paul avait une contenance très embarrassée et était devenu alternativement très rouge et très pâle. Cependant, comme c’était particulièrement à lui que le jeune homme paraissait s’adresser, et que le regard de son frère l’invitait à répondre, Paul se décida à rompre le silence. — La personne dont vous parlez, dit-il en balbutiant, demeure en effet dans cette maison.

— Auriez-vous l’obligeance de m’enseigner son logement ? demanda naturellement le jeune homme.

— Mais, reprit Paul avec un nouveau mouvement d’hésitation qui n’échappa point à son frère, c’est qu’elle est ordinairement sortie à cette heure,

— On m’a prévenu en bas que je trouverais du monde chez elle, reprit le nouveau venu.

— Et on ne vous a pas trompé, puisque vous nous avez rencontrés, dit Antoine, qui, à l’instant où il prononçait ces mots, surprit dans les yeux de son frère une expression de pénible étonnement.

— Ah ! je comprends, fit le jeune homme après une courte hésitation. Peut-être cette bonne femme, qui est sans doute votre voisine, vous a priés, pendant son absence, de prendre les adresses des personnes qui viendraient la demander.

Antoine regarda son frère comme pour le provoquer à une réponse. Paul se borna à incliner la tête affirmativement. — Alors, reprit leur ancien ami, donnez-moi un bout de papier et un crayon, je vais écrire mon adresse, que je vous prierai de remettre à votre voisine aussitôt que vous la verrez.

— Mais, mon cher, interrompit Antoine, la personne dont vous parliez n’est pas notre voisine, c’est notre grand’mère.

À cette révélation inattendue, celui à qui elle venait d’être faite avec une grande simplicité ne put retenir un mouvement; mais c’était un garçon d’esprit, et devinant qu’il avait affaire à un garçon de cœur, il déchira sans aucune affectation le morceau de papier sur lequel il avait commencé à écrire son adresse, et, tirant de sa poche une carte de visite, il la déposa sur une table en face d’Antoine en disant : — On me trouve chez moi tous les matins jusqu’à dix heures, dit-il. — Il y avait dans le seul fait de cette substitution un sentiment de délicatesse qui ne pouvait passer inaperçu. Antoine l’en remercia d’un regard et observait, avec une ironie qui lui semblait difficile à contenir, l’attitude embarrassée de Paul. Comme pour faire oublier aux deux frères le véritable motif de sa présence