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et la Russie, en déclarant qu’on lui ferait la guerre, si elle restait sourde aux conseils. On a craint de la faire. Qu’en est-il résulté ? Une lutte maintenant européenne, qui vraisemblablement se prolongera aussi longtemps que le gouvernement russe, malgré les défaites de ses armées, pourra conserver quelque moyen de résistance. Si la Prusse veut sincèrement et virilement une paix prompte, il n’y a donc qu’un parti à prendre : c’est de suivre une voie tout opposée à celle où elle est entrée depuis qu’elle essaie de s’isoler de l’Autriche et de l’Europe. Au lieu de donner à croire à la Russie que sa cause conserve des sympathies et qu’elle pourrait trouver des alliés, il faut, par un langage énergique et des démonstrations dignes d’un grand pays, faire entendre au cabinet de Saint-Pétersbourg que l’unique ressource qui lui reste pour éviter de plus grands désastres est de demander la paix. Espérons encore que la Prusse, émue des considérations élevées et pressantes renfermées dans la dernière circulaire de l’Autriche, appréciera une situation très simple, dont l’issue ne saurait être ni incertaine, ni lente, si l’Allemagne reste associée à la politique des puissances occidentales, mais qui pourrait devenir, dans le cas contraire, très compliquée et très difficile pour la confédération germanique.

Si l’impression éveillée par les premiers incidens de la campagne de la Crimée a été spontanée et vive partout, elle l’a été naturellement plus encore dans les deux pays qui comptaient leurs soldats sur le champ de bataille de l’Aima, en Angleterre et en France. Depuis longtemps sans doute, on n’avait vu en France un tel frémissement d’opinion, une aussi ardente curiosité des événemens, et, nous l’ajouterons, une telle unanimité dans un sentiment généreux. Le patriotisme a résolu pour un moment cet insoluble problème de réunir toutes les opinions en les plaçant sur un terrain où elles pouvaient former les mêmes vœux, confondre leurs sympathies et leurs espérances. L’enthousiasme avait été universel et d’une spontanéité électrique au premier bruit de la chute de Sébastopol, à cet éclair subit d’une victoire si complète. Le désappointement n’a pas été moins naïf et moins prompt, quand il a fallu se contenter pour le moment d’une bataille gagnée et d’une série d’opérations heureuses. On s’en est pris alors un peu à tout, au malheureux messager première cause de toute cette émotion, aux gouvernemens, aux télégraphes, à la presse, à la Bourse, et cela même est l’indice de l’intérêt ardent qui s’attache aux affaires actuelles. Qu’on ne croie point d’ailleurs que cet intérêt se concentre dans un certain monde, dans le monde qui lit des journaux et qui suit la marche de la politique. S’il est un fait remarquable au contraire, c’est que la guerre, une fois dégagée de l’obscurité des négociations et des discussions diplomatiques, est devenue l’affaire de toutes les classes. On serait fort étonné peut-être de voir avec quelle curiosité les populations les plus éloignées des villes s’informent des opérations militaires. C’est certes pour la première fois que bien des habitans des campagnes entendent parler de Sébastopol, et beaucoup sans doute ne seraient pas loin de le prendre pour un homme. Il n’est pas moins vrai qu’ils recherchent les nouvelles, qu’ils s’en entretiennent, et c’est avec une incroyable rapidité que le bruit de la prise de Sébastopol était allé réveiller partout ce simple et mâle instinct national que la guerre fait toujours vibrer. C’est dans ces ins-