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son territoire qu’elles jugeraient le plus favorable au succès de leurs opérations militaires. Il y a dans cette thèse trop de puérilité pour que la Prusse, en la soulevant à Vienne, ait voulu autre chose que se donner le plaisir d’argumenter pour gagner du temps. Il s’est produit néanmoins en Allemagne une prétention plus singulière encore s’il est possible, celle d’être appelé à apprécier et à discuter les bases de la paix future sans sortir d’une neutralité opiniâtre, jalouse à notre égard, pleine pour l’ennemi commun d’une sollicitude qui ne se laisse que trop deviner aujourd’hui. Ce serait là certainement un fait nouveau dans l’histoire des neutres en temps de guerre, et l’Autriche ne pouvait que traiter de haut ce vœu si parfaitement naïf d’être admis à participer aux avantages sans avoir contribué aux sacrifices.

Le cabinet de Vienne a pour son compte un trop juste sentiment de l’importance de la paix qui suivra la guerre actuelle et de l’influence qu’elle exercera sur l’avenir de l’Europe, pour ne pas comprendre ce qu’il y aurait de désavantageux à renoncer à toute action sur la marche des événemens en s’isolant du reste de l’Europe. Lié diplomatiquement à la France, à l’Angleterre et à la Porte elle-même par des engagemens solennels, quoique incomplets, il a déjà fait un pas décisif en dehors de l’idée de neutralité et de médiation en occupant les principautés au nom de la Porte et en commun avec elle. Plus la lutte s’étend et s’aggrave, plus il se sent lui-même poussé par l’intérêt et le devoir à jeter son épée dans la balance. Un moment va donc venir nécessairement où il n’y aura plus de place pour l’hésitation et l’incertitude ; que l’Allemagne l’aide ou non, l’Autriche sera amenée à descendre sur le champ de bataille à côté de la France et de l’Angleterre, et à charger son armée de défendre en commun avec les puissances occidentales les principes sur lesquels sa diplomatie est tombée d’accord avec elles. Quelle sera dans cette éventualité la conduite de l’Allemagne ? Verra-t-on la Prusse et quelques-uns des états secondaires prendre des résolutions hostiles et prêter à la Russie l’appui de leurs armes pour lui témoigner la sincérité de la sollicitude qu’elles lui montrent aujourd’hui ? Ou bien, marchant à contre-cœur dans la ligne des intérêts allemands et européens, iront-ils tardivement rejoindre les drapeaux de l’Autriche, au risque d’arriver sur le terrain lorsque leur concours n’y sera plus nécessaire ? Il n’est pas probable, en tout cas, que ces gouvernemens puissent rester neutres, et ce n’est pas quand la faiblesse des hommes s’avoue et s’affiche à ce degré, qu’elle peut avoir quelque chance de résister à la force des choses.

La Prusse et ses alliés ne cessent de protester de leur ardent désir de voir la crise terminée et la paix rétablie. C’est un vœu auquel on ne peut que s’associer ; mais nous sommes bien forcés de dire que la politique de la Prusse va directement contre ce but, qu’elle proclame spécialement le sien. L’histoire des développemens de la crise actuelle atteste assez combien les ménagemens de l’Allemagne pour la Russie au début du différend ont servi à encourager les prétentions de cette puissance et à l’aveugler sur les chances de son ambition. Il a été possible à une certaine époque de lui faire accepter une solution pacifique, en montrant que l’on était fermement uni pour résister à tout prix à d’injustes appétits d’agrandissement ; il a été possible de circonscrire la guerre et d’amener une prompte réconciliation entre la Porte