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protégeaient à ses extrémités. Les Coutrigours trouvèrent derrière ce rempart une petite armée bien disciplinée et un jeune général plein de génie, Germain, fils de Dorotheus, l’élève et l’enfant adoptif de Justinien. Tous les efforts des barbares pour enlever l’obstacle de vive force restèrent sans succès ; plusieurs fois ils battirent en brèche les galeries, plusieurs fois ils en tentèrent l’escalade et furent toujours repoussés avec de grandes pertes. Les surprises ne leur réussirent pas mieux que les assauts, tant l’active sollicitude du général allait de pair avec la constance du soldat. Il y avait de quoi désespérer ; mais le courage revenait aux Huns lorsqu’ils songeaient à ces villes opulentes enrichies par le commerce du monde, Aphrodisias, Cibéris, Callipolis, Sestos, dont il leur faudrait abandonner la dépouille, et ils résolurent de tout essayer plutôt que de renoncer à une pareille bonne fortune.

Un moyen se présenta à leur esprit, c’était de tourner un des môles par mer et d’attaquer la muraille tout à la fois à revers et sur son front. La chose ainsi décidée, ils se mirent à ramasser dans la campagne tout ce qu’ils purent trouver de roseaux et de bois pour construire une flotte. Choisissant les plus fortes tiges de roseaux, ils les réunissaient par des liens afin d’en former des claies, qui étaient ensuite assujetties à trois traverses de bois, placées une à chaque bout, et la troisième au milieu. Trois ou quatre de ces claies amarrées ensemble composaient un radeau capable de soutenir quatre hommes. La partie antérieure du radeau s’amincissait et se recourbait en manière de proue pour mieux fendre l’eau ; deux rames étaient attachées à chacun de ses flancs, et une pelle posée à l’arrière lui servait de gouvernail. Les interstices des roseaux étaient soigneusement bouchés avec de la laine et du menu jonc, pour empêcher l’eau de s’y introduire. Tels furent les navires imaginés par les Huns. Ils en construisirent environ cent cinquante, qu’ils transportèrent sur le golfe de Mêlas, qui baigne la côte occidentale de la Chersonèse, puis par une nuit bien noire ils les mirent à flot et y embarquèrent six cents hommes armés de toutes pièces. Ils espéraient tourner le môle sans bruit et surprendre à leur débarquement les défenseurs du rempart endormis ou oisifs, mais ils avaient compté sans la vigilance de Germain. Le général avait tout deviné. Tandis qu’ils fabriquaient leur flotte de roseaux, il faisait venir la sienne, de grands et solides navires, de tous les ports de l’Hellespont, et la cachait dans l’anse formée entre le rivage et le môle.

La flotte des Huns s’avança d’abord en mer à grand renfort de rames, par une marche lente et saccadée : les vagues se jouaient de ces corbeilles légères qu’elles élevaient et abaissaient sans cesse, tandis que les rameurs luttaient péniblement contre les courans qui les entraînaient à la dérive. Elle approchait cependant et avait déjà