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dépassé le môle, quand les galères romaines, se démasquant, fondirent de toutes parts sur elle. Le premier choc fut si violent, qu’une partie des barbares tomba de prime saut à la mer ; les autres se cramponnèrent aux roseaux pour ne pas culbuter ; nul d’entre eux ne resta assez ferme sur ses pieds pour tenir une arme, porter ou parer un coup. Semblables à des tours mouvantes, les trirèmes passaient et repassaient au milieu des radeaux, les faisant chavirer par leur choc ou les abîmant sous leur carène. Comme les barbares étaient hors de la portée de l’épée, les légionnaires se servaient de longues piques pour les atteindre ; on les perçait, on les assommait, on les tirait avec des crocs comme des poissons pris dans une nasse. Pour terminer le combat, les Romains se mirent à couper les liens des roseaux au moyen de harpons tranchans et à détruire les assemblages des claies, de sorte que les Huns furent tous engloutis jusqu’au dernier. Germain voulut compléter sa victoire navale par une sortie dans laquelle il força le camp barbare ; mais, emporté par son ardeur, il s’exposa trop et reçut à la cuisse un coup de flèche qui le blessa mortellement. L’armée romaine perdit en lui un de ses chefs les plus aimés, l’empire sa plus chère espérance : ce fut la consolation que les Coutrigours rapportèrent de leur défaite.

Zabergan n’avait plus qu’à partir ; il reprit le chemin du Danube, traînant dans ses bagages une armée de captifs plus nombreuse que ses soldats. C’étaient des habitans des villes, des femmes, des enfans, des vieillards de Thrace, de Macédoine, de Thessalie, de la campagne de Constantinople, qu’il avait enlevés pour trafiquer de leur rançon. Il fit annoncer partout que les prisonniers qui n’auraient pas été rachetés par leurs familles seraient mis à mort sous un court délai. L’empereur les racheta des deniers publics, et on l’en blâma. Que n’eût-on pas dit s’il eût fourni à Zabergan un prétexte pour exécuter ses menaces et frapper des têtes qui appartenaient en grande partie aux familles nobles de ces provinces ! Le roi hun se montra coulant dans la négociation, parce qu’il apprit qu’une flottille de vaisseaux à deux poupes se dirigeait vers le Danube pour lui en fermer le passage : il demanda et obtint la paix. Il trouva d’ailleurs à son arrivée aux bords du Don de quoi satisfaire son humeur belliqueuse. Pendant son absence, Sandilkh avait pris une revanche terrible, et la guerre recommença entre les Outigours et les Coutrigours, plus sanglante, plus implacable que jamais. L’un des deux peuples devait périr infailliblement par les mains de l’autre, si une troisième nation hunnique, arrivant sur ces entrefaites, ne se fût chargée de le sauver en les asservissant tous les deux.


AMEDEE THIERRY.