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décision rapide et persévérante, non pas seulement grâce chevaleresque dans un tournoi, mais génie militaire s’attachant une fois pour toutes à une cause et servant l’Allemagne au point de se faire grandement compter par elle, ou se dévouant à la France sous le drapeau de Gustave-Adolphe, de manière à le remplacer, du moins comme général. Au lieu de cela, le duc de Lorraine vint à Paris faire ses soumissions et ses excuses en même temps que Mme de Chevreuse, et ils s’en retournèrent comme deux exilés, l’une à Dampierre, l’autre dans son duché, pour y tramer de nouvelles intrigues avec Gaston d’Orléans et y recevoir bientôt après garnison dans sa capitale.

A travers ces affaiblissemens et ces fautes, la réunion qui devait tarder si longtemps encore s’acheminait sans doute, — et, il faut le dire, comme on peut le constater par tant de témoignages du temps et de pièces inédites qu’emploie M. d’Haussonville, cette réunion, facilitée par l’imprudence de la cour lorraine, ne semblait pas rencontrer grand obstacle dans l’instinct et le bon sens du pays. Richelieu peut se faire préparer des mémoires et des notes sur la meilleure manière de prendre la Lorraine, sur la question de savoir s’il faut envoyer au duc des huissiers ou des régimens, le déposséder partiellement par des procès, des reprises, des séquestres, ou envahir tout à coup ses états : ce qui importe davantage, ce qui est décisif et constaté involontairement par l’historien, c’est, ce semble, qu’il n’y avait plus dès lors dans la race lorraine cette répugnance du joug voisin, cette personnalité nationale qui est l’âme d’un petit état et qui seule le fait durer devant des ennemis égaux ou supérieurs, rien enfin de cette ténacité des républiques grecques de l’antiquité ou des cités italiennes du moyen âge à garder leur existence propre, et surtout à ne pas se fondre dans l’existence d’une autre. Athènes ne pouvait pas rester sujette de Lacédémone, ni Sienne ou Pise être incorporée à Florence; mais la Lorraine, duché à part, semblait toujours en train de devenir une province ou du moins un pays d’état du grand royaume de France. Quelque tard que se fît la réunion officielle et définitive, elle n’en devait pas moins être absolue et complète, précisément parce qu’elle aurait été préparée par les mœurs, et serait naturelle avant d’être politiquement déclarée.

Et cela se faisait ainsi, notons-le bien, quoique la Lorraine fût à l’intérieur, et sauf la pression étrangère, un pays librement gouverné, qu’elle eût des institutions, des garanties contre le pouvoir arbitraire, et que ses habitans vécussent dans un bien-être et une sécurité qui se retrouvent rarement sous une grande domination. C’est, il faut le dire, que sous ce dernier rapport, la distinction entre la Lorraine et la France n’était pas alors aussi réelle et aussi