Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/688

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

frappante qu’elle a pu le devenir. Même avec Richelieu et après Richelieu, la France n’apparaissait pas comme une terre de souveraineté absolue qui ne pourrait englober de petits états, sans les asservir tout à fait et absorber dans son uniformité leurs usages et leurs droits de liberté locale. On sait ce que conservaient de privilèges particuliers et de libres coutumes diverses provinces plus ou moins difficilement réunies au noyau central de la France; on sait enfin ce que plus tard, même dans l’unité croissante du pouvoir, Louis XIV laissa de privilèges à la Franche-Comté et reconnut de garanties expresses à la ville de Strasbourg.

Ainsi, en même temps que la civilisation, le culte, la langue, les mœurs assimilaient la Lorraine à la France, les institutions de liberté, quoique très réelles et sincèrement établies chez elle, ne la séparaient pas de nous, qui en gardions encore l’image et le principe. C’est là même ce que l’habile historien aurait pu marquer davantage dans ses récits. « L’ancienne France, a dit souvent un grand orateur politique de nos jours, était hérissée de libertés; il aurait fallu alors casser d’autorité bien iles arrêts de cour souveraine, biffer bien des protestations, annuler bien des interdits, pour faire ou pour maintenir ce que peut aujourd’hui un arrêté administratif et parfois un ordre télégraphique. Prenons garde à ce progrès, ajoutait-il, et craignons d’avoir perdu en forme tutélaire du droit ce que nous avons gagné en uniformité et en célérité.»

Nous n’exagérons pas cette opinion piquante et prévoyante d’un homme politique justement honoré; nous n’avons ni prédilection ni regret pour l’ordre de choses qu’il rappelait ainsi. A nos yeux, il n’importe pas qu’un pays soit hérissé de libertés; c’est assez qu’il en soit bien et sagement muni, et surtout qu’on ne puisse les retirer à volonté. Mais enfin, dans cette étude spéculative du passé, la reconnaissance de l’état fréquemment légal de l’ancienne France, la remarque tout historique sur l’action régulière de ses parlemens, sur la protection qu’ils donnaient aux droits privés et à certains droits publics, sur les privilèges plus ou moins étendus de quelques provinces, sur les garanties municipales des villes, sur la perspective des états-généraux, suffit pour expliquer comment la Lorraine, malgré ses habitudes permanentes de libertés locales, ses assemblées presque annuelles, son droit surtout de voter librement les aides et les subsides, n’avait pas de répugnance absolue pour le régime moins paternel et les entraves plus étroites de la grande monarchie dont elle était trop voisine pour n’en être pas tôt ou tard dépendante. Ce qui restait de corps intermédiaires indépendans et de vieilles libertés dans la France des commencemens du XVIIe siècle devait faire illusion et imposer au loin, et tout, jusqu’aux