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reçoivent une heureuse solution, lorsque beaucoup d’hommes d’un esprit libre et désintéressé, estimés de leurs concitoyens et s’estimant eux-mêmes, peuvent longtemps s’occuper d’un changement à faire et y mettre le prix de leurs efforts et l’honneur de leur vie.

Cette continuité et ces degrés successifs de la vie publique, par où se maintiennent à leur place naturelle tant d’hommes distingués de l’empire britannique, ailleurs il est nécessaire, bon gré mal gré, d’y substituer autre chose, une autre occupation possible, un autre but légitime, une autre ambition différemment honorable.

La philosophie, l’histoire, les lettres, cette belle et croissante éducation des âmes, restreinte aujourd’hui pour la première jeunesse, demeure toujours ouverte aux vocations généreuses de l’âge adulte. Ces précieux instrumens, cette forte armure de l’homme public, si recherchée et si enviée là où il y a publicité et concurrence des esprits, tout cela, disons-nous, est encore une puissante occupation de la retraite, un fécond exercice pour la méditation, dans le silence général et l’apaisement de toute rivalité possible. La presse polémique en effet ne peut guère coexister avec ce calme extérieur imposé dans les hautes régions de la société. C’est beaucoup, sans être trop sans doute, s’il reste à cette presse la faculté de donner dans quelques rares occasions quelque avertissement impartial, tel qu’il peut résulter de détails techniques et désintéressés, où les faits et les chiffres parlent seuls. Mais, en dehors de la presse polémique, ainsi désarmée, sans doute par la considération de son crédit probable dans un pays comme la France, originairement si intelligent et si vif, c’est justice et nécessité qu’il reste au moins la presse contemplative, celle qui, en histoire, en droit public, s’occupe d’un passé plus ou moins lointain, avec liberté sans doute, mais une liberté toute de philosophie ou d’imagination, décrivant des temps, des mœurs, des caractères qui ne sont plus et ne peuvent renaître, s’intéressant à des constitutions d’un autre siècle, à des luttes désormais inconnues, à des dévouemens, à des courages civils, dont la contagion n’est pas à craindre. Considérée à ce point de vue, l’histoire est une sorte de musée de l’hôtel de Cluny, où les armes les plus redoutables ne sont plus que des curiosités savantes et des échantillons inoffensifs de la vigueur des anciens bras.

Que dans l’ordre politique la censure même la plus scrupuleuse accueille donc volontiers et que l’attention de tous les esprits éclairés encourage et récompense ces études historiques, ces restitutions piquantes et fidèles du passé, qui étaient déjà depuis longtemps dans l’esprit et dans le goût de notre époque, et qui lui deviennent plus que jamais un délassement nécessaire et permis !


VILLEMAIN, de l’Institut.