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animaux sauvages à partager la vie de l’homme, ses travaux, ses goûts, ce fut l’œuvre de quelques générations ; mais amener ces individus à l’état de races conquises, sérieusement utiles, ce fut l’œuvre des siècles. Les âges historiques se transmirent le soin d’améliorer les races d’animaux, et cette entreprise fut favorisée par les lois mêmes de la nature. La bête est capable de développement, non d’un développement volontaire, libre, spontané, actif, mais d’un développement communiqué. Si l’animal n’invente pas, il reçoit. Créations passives du progrès, les espèces domestiques n’avancent point par elles-mêmes, mais elles ne se refusent pas aux perfectionnements que l’homme trace dans leur intelligence, dans leurs instincts ou même dans leurs organes. Or, comme l’homme ne peut agir sur le règne animal qu’avec la somme de ses facultés relatives, il s’ensuit que la plus étroite relation existe nécessairement entre l’histoire des races domestiques et l’histoire des progrès de la civilisation sur le globe. Nul ne donne aux autres que ce qu’il possède lui-même, et l’état social d’un peuple, comme son âge historique, se représente exactement par le nombre, la nature et le degré de perfectionnement des animaux domestiques qu’il élève. Dans le dénombrement que César, Tacite et les autres historiens nous ont laissé des richesses zoologiques appartenant aux Celtes ou aux Germains, figurent des troupeaux de vaches, de taureaux, de moutons et de chèvres, le cheval, bellator equus, le chien de chasse ou de berger. Tous ces animaux, par leur caractère, indiquent les mœurs nomades, pastorales et guerrières des peuples qui les nourrissaient.

D’après ce principe, — à hommes barbares animaux barbares, à hommes civilisés animaux civilisés, — on peut hardiment créer une zoologie historique. Pour jeter les bases de cet enseignement tout nouveau, que faut-il ? Il s’agit de réunir, de grouper et d’échelonner pour chaque série domestique des individus sur les caractères desquels on puisse suivre et parcourir les caractères des sociétés plus ou moins avancées dont ces animaux procèdent. Un jardin zoologique où, dans des enclos réservés à cet ordre d’études, on verrait toutes nos espèces domestiques sortir par degrés de leur souche naturelle, où l’on verrait enfin se former dans les types modifiés des divers animaux les types des diverses civilisations qui les élèvent ; un tel jardin, dis-je, ne serait plus un simple rendez-vous d’amateurs, un but de promenade et de curiosité stérile : ce serait un théâtre d’idées, un théâtre de faits sur lequel le grand drame de la civilisation se représenterait par des acteurs choisis dans la nature.

La confrontation des espèces sauvages avec les espèces domestiques, en passant par les nuances intermédiaires, nous montrerait