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l’espérer, au dénouement, non certes de la campagne, mais de cet épisode de la campagne, — le siège de Sébastopol, — auquel ont coopéré les flottes et les armées de terre, qui, indépendamment des opérations régulières, compte jusqu’ici plusieurs combats, et qui ne fera qu’attester une fois de plus la puissance des armes réunies de la France et de l’Angleterre. La dernière bataille qui vient d’être livrée le 5 novembre, quelque sanglante qu’elle ait été, quelque chèrement qu’il ait fallu acheter la victoire, ne peut par son issue même que confirmer cette espérance et hâter le dénouement.

Il eût été plus commode indubitablement pour nos généraux de pouvoir annoncer dans leurs bulletins un succès rapide, instantané, comme l’on s’en était fait un moment l’illusion. Malheureusement les opérations de la guerre ne se règlent pas sur les illusions et les impatiences de l’opinion : elles ont leurs conditions qu’il n’est au pouvoir d’aucun courage d’éluder, et ces conditions sont particulièrement laborieuses autour de Sébastopol, selon l’aveu du général Canrobert. Il y a des travaux de siège à poursuivre, des tranchées à ouvrir, un investissement méthodique à accomplir, et en même temps il faut toujours se tenir prêt à combattre, à repousser les sorties et les attaques combinées pour entraver le siège. Les armées alliées ont vigoureusement pourvu à tout dans leur situation difficile. Elles ont poussé leurs travaux et elles ont combattu, serrant chaque jour la place de plus près et opposant une fermeté en définitive invincible aux diverses tentatives dirigées contre elles par l’armée russe. C’est dans les premiers jours du mois dernier, après la bataille de l’Aima, que commençait le siège de Sébastopol, on s’en souvient. Le 17 octobre, les travaux étaient assez avancés pour que le bombardement pût s’opérer, et il s’exécutait par une première attaque combinée des flottes du côté de la mer et des armées de terre. Depuis ce moment, on peut le dire, la lutte est engagée corps à corps entre l’armée de siège et la place. Le feu répond au feu jusqu’au jour où la brèche ouvrira un passage à nos soldats et où l’assaut décidera des destinées de la ville. Que les pertes des Russes aient été jusqu’ici considérables, cela n’est point douteux malgré les efforts du prince Menchikof pour pallier le mal dans ses bulletins. Nous n’avons point certes à énumérer les forts ou les batteries réduits au silence, pas plus qu’à évaluer le nombre des morts ou des blessés. Parmi ceux-ci, du côté des Russes, on compte seulement deux des principaux chefs militaires, les amiraux Kornilof et Nachimof, qui par une coïncidence étrange avaient été, l’an dernier, les exécuteurs de l’affaire de Sinope.

Quelle était pourtant la force réelle de la garnison de Sébastopol ? Qu’était devenue la masse de l’armée russe dans la Crimée ? De quels renforts avait-elle pu s’accroître ? Il était difficile de le savoir dans les premiers jours du siège. La tactique du prince Menchikof, qui paraît consister à harceler les alliés, à essayer de les attirer hors des positions puissantes qu’ils ont prises, a commencé de se révéler dans une attaque dirigée par le général Liprandi contre Balaclava. Il y avait en avant de la ligne de défense de Balaclava quelques redoutes gardées par les Turcs, lesquels n’ont point été, à ce qu’il semble, très-solides, n’étant pas d’ailleurs très-nombreux. Ces redoutes ont été emportées facilement par les Russes, et il a fallu un effort énergique des Anglais, appuyés à propos par la cavalerie française, pour rétablir les choses, de telle sorte que si le général Liprandi ; est resté en possession de quelques