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nétrante de Fénelon, qu’il semblait rappeler. Si l’on observe bien ce qu’il y a surtout de remarquable dans le discours de M. Dupanloup, ce qui lui a donné ce caractère d’un événement qu’on s’est plu à lui attribuer, c’est ce grand et sincère esprit de tolérance qui l’anime, cette bonne grâce évangélique qui cherche ce qui rapproche et non ce qui divise, qui ne livre pas le sanctuaire, mais qui l’ouvre à tout ce qui peut légitimement y pénétrer. M. Dupanloup a fait même une spirituelle application de cet esprit de tolérance au sujet de son prédécesseur, M. Tissot, avec lequel il serait parvenu à s’entendre, dit-il, ne fût-ce que sur un vers de Virgile, sauf à marcher par là vers un accord plus parfait. Mgr l’évêque d’Orléans d’ailleurs n’a point voulu recevoir le baptême académique sans entrer tout de suite dans les devoirs de son rôle, et il s’est livré à la plus ingénieuse dissertation sur la grammaire et le dictionnaire, qu’il appelle les deux colonnes de la société. M. Dupanloup allait peut-être un peu loin, car enfin l’une de ces colonnes, le dictionnaire, n’existe point encore ; l’Académie s’en occupe à loisir. Il n’en reste pas moins une grande vérité dans cette idée : c’est que les altérations de la langue sont le symptôme d’altérations bien autrement profondes. Quand on ne s’entend plus sur les mots, c’est qu’on ne s’entend plus sur les choses. M. Dupanloup a parcouru ainsi bien des sujets, multipliant les traits éloquens ou les aperçus pleins de finesse, et ne laissant partout qu’une impression dont M. de Salvandy s’est fait l’organe à son tour en le recevant au nom de l’Académie.

C’est donc une journée heureuse pour l’intelligence et pour les lettres, relevées au nom même de la foi religieuse et ramenées aussi à leur mission supérieure, qui est d’éclairer ou d’émouvoir les âmes par l’expression du vrai, du beau et du bien. Qu’on étende, qu’on multiplie ou qu’on renouvelle cette expression, le champ est assez vaste ; par malheur il n’a pas toujours la même fécondité, et c’est assurément un des phénomènes littéraires les plus remarquables aujourd’hui que l’indigence de la poésie ou l’insignifiance de ce qui prend trop souvent ce nom. Quoi ! nous objecte-t-on parfois en ayant soin de nous indiquer des volumes nouveaux, les livres manquent-ils ? Il en est de tous les titres et de tous les genres. Il y a des poésies religieuses et des poésies sociales, des poésies mélancoliques et des poésies cavalières, des poésies humoristiques et des poésies champêtres. Oui, sans doute, il y a toutes ces poésies ; il n’y manque qu’une chose : c’est l’inspiration et l’originalité, c’est-à-dire la poésie elle-même. Nous assistons au dernier résultat du mouvement de rénovation accompli il y a trente ans. Dans son premier essor, ce mouvement a produit des œuvres qui ont conservé leur jeunesse et leur puissance émouvante. De déclin en déclin, d’imitation en imitation, il n’est plus resté qu’un vain assemblage de mots, le bruit assoupissant des antithèses, les lieux-communs d’une sensibilité factice, le puéril mélange de toute sorte de couleurs et d’images. Bien des vers contemporains ressemblent à un écho lointain et affaibli, où on ne reconnaît plus le son primitif. Aussi n’y a-t-il pas entre eux souvent une différence sensible ; il sont empreints d’une désespérante uniformité. Ce n’est pas que quelques-uns de ces vers n’aient par instant de la grâce, de la facilité ; mais ceux-là mêmes ne font d’habitude que reproduire ce qui a reçu déjà une expression plus puis-