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un certain public ne le sauvait pas du mépris de tous ceux qui se piquaient de goût et de littérature. Il existait un proverbe anglais qui était le commentaire du mot de Charles Ier : « Les contes de Robin Hood sont bons pour les fous. » Le bandit populaire n’était pas en faveur; le goût public se portait vers de plus grandes choses. L’Angleterre avait eu le règne d’Elisabeth et celui de Jacques Ier, c’est-à-dire peut-être son grand siècle. Le moyen, après les admirables stances de Spencer, de revenir à ces vieilles strophes pauvrement rimées ! Le moyen de goûter les bons tours de Robin Hood et de Little John après les drames de Shakspeare ou de Ben Jonson ! Ce n’est pas tout : ce qui courait alors parmi le peuple sous le nom de Guirlandes de Robin Hood ne renfermait pas les meilleures pièces du cycle de ce franc-archer. Quelques-unes parmi les plus remarquables demeuraient ensevelies dans les bibliothèques, ou vivaient seulement dans la mémoire de quelque vieux ménétrier. Toutes celles qui circulaient étaient du XVIe ou du commencement du XVIIe siècle. Pour rendre quelque charme à ces compositions généralement méprisées, il fallait que le goût public fût un peu changé. C’est ce qui arriva au siècle suivant. Le changement du goût se fit à la suite des changemens politiques. Lorsqu’un gouvernement libéral modéré se fonda en Angleterre, toute la nation cessa peu à peu de modeler sur la cour toutes ses idées, tous ses sentimens, tous ses plaisirs; toutes les classes fournirent quelque chose au nouvel ordre qui s’établissait. Il se fit un compromis général des idées de la nation, et l’Angleterre s’y reposa : ce fut le siècle de la reine Anne. La part du peuple fut petite en littérature; le peuple est naturellement modeste, quand on ne le flatte pas : cependant il eut sa part. On s’avisa de trouver qu’il y avait de la grâce, de l’énergie, de l’éloquence dans certains chants populaires. Addison, le classique Addison, consacra deux numéros du Spectateur à la ballade de Chevy-Chace. Il la comparait, il est vrai, à l’Enéide de Virgile, et la soumettait à une sorte de critique pour laquelle elle n’était pas faite; de plus il s’en tenait à la seconde rédaction de cette ballade, rédaction du XVIe siècle, fort belle sans doute, mais déjà élégante et sentant le métier. C’était pourtant beaucoup que de ne pas repousser les strophes chantées par les ménestrels des comtés du nord, et de leur faire les honneurs du Spectateur.

De la ballade de Chevy-Chace à celles de Robin Hood, il y a encore bien loin; mais l’exemple était donné. Percy publia, vers le milieu du siècle, son célèbre recueil de vieilles poésies anglaises, parmi lesquelles on trouve une des plus belles ballades sur le franc-archer, celle de Robin Hood et Guy of Gisborne. Cependant le héros de la forêt attendait son historien : il le trouva dans l’un des hommes les plus originaux et les plus savans de l’Angleterre; c’était Joseph Ritson. Cet homme d’humeur bizarre, qui ne mangeait pas plus de viande que le plus sévère des pythagoriciens, portant dans ses études une ardeur à laquelle les objets semblaient manquer, cet homme qui, pour son malheur, n’eut aucune religion d’aucune sorte, mais qui, pour l’instruction de ses contemporains, a toujours travaillé, Joseph Ritson, se prit d’amour pour Robin Hood. D’où venait ce penchant si décidé pour le franc archer ? Trouvait-il quelque malin plaisir à raconter ses querelles avec les évêques et les moines ? Cette vie bizarre d’un homme en guerre ouverte avec la société d’autrefois, libre au fond des forêts et se faisant redouter dans tout le