Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/97

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pays à la ronde, généreux avec les petits, indomptable avec les grands, cette vie romanesque, et qui ne ressemble à aucune autre, éveilla-t-elle son attention, et trouva-t-elle le secret de plaire à un homme de lettres fort paisible, mais qui avait le goût de l’étrange ? Quoi qu’il en soit, Ritson fut le premier historien de Robin Hood.

Il donna en 1795 une grande partie des ballades sur cet archer dans une collection qui portait le titre du célèbre outlaw. Dans ce recueil, il reproduisait le Lyttle Geste, épopée entière sur Robin Hood, fort peu connue jusque-là. Il la réimprimait d’après un exemplaire unique de 1489. Le tout était précédé d’une vie du héros, de nombreux commentaires sur cette vie, et même d’un arbre généalogique, en vertu duquel le brave outlaw devenait bel et bien comte de Huntingdon, s’appelait Fitz-Hooth au lieu de Hood tout court, comme un descendant des Normands, avait dans les veines du sang de Guillaume le Conquérant, et marquait sa place dans l’histoire comme un rival et comme un ennemi de Jean-sans-Terre. Ritson n’osait avancer toutes ces choses bien sérieusement. Moitié plaisanterie, moitié prudence, il ne quittait pas tout à fait le ton du badinage. Depuis Ritson, Robin Hood a beaucoup grandi aux yeux de la critique; il a repris ses proportions de héros.

Ainsi le franc-archer a été d’abord célébré comme Charlemagne et Arthur, comme les rois de l’histoire et comme ceux de la fable, puis il est tombé dans un certain discrédit; il a été, un siècle ou deux, en possession d’amuser le vulgaire et d’exercer des poètes médiocres; puis encore il a repris faveur, et de nos jours c’est presque un grand procès qui s’agite, de savoir s’il a été comte ou simple archer, s’il était Saxon, s’il était un personnage politique, s’il vivait au XIIe, XIIIe ou au XIVe siècle, si enfin (car l’incertitude va jusque-là) il a jamais existé. D’autre part, les plus anciennes et les meilleures des ballades dont il a fourni la matière sont tombées dans l’oubli durant l’époque où le nom du héros s’est obscurci. Telles sont surtout l’épopée du Lyttle Geste, la ballade de Robin Hood et Guy de Gisborne, celle de Robin Hood et le Moine, qui n’a vu le jour qu’en 1829. Aujourd’hui elles sont lues et goûtées du public, et il n’est plus permis de méconnaître l’originalité, la grâce, la poésie d’une bonne portion du cycle de Robin Hood. Nous ne pouvons donc hésiter entre la délicatesse dédaigneuse et l’admiration décidée; nous donnerons tort au proverbe sur les contes de Robin Hood, et nous ne craindrons pas de traiter le franc-archer en héros.

Quel est ce héros ? Comment s’est formée une tradition populaire si étrange et pourtant si vivace ? — Telle est la question qui se présente d’abord. Les critiques ont imaginé six ou sept systèmes sur ce point de littérature; mais il n’y a qu’une chose qu’ils soient parvenus à prouver, c’est l’impossibilité d’arriver à une certitude. L’antiquaire Stukeley a fait de Robin Hood un Robert Fitz-Ooth, comte de Huntingdon, descendant par sa mère de l’illustre maison de Vere, une des plus anciennes d’Angleterre, et par son père de Ralph Fitz-Ooth, lord de Kyme, de race normande et d’une famille alliée des rois d’Ecosse, et qui comptait Guillaume le Conquérant parmi ses aïeux. Ritson, qui a mis la plus profonde érudition au service du héros des forêts, consent à le reconnaître pour un comte, quoiqu’il ne semble pas tenir sérieusement pour son blason, et il le fait vivre entre Richard Cœur-de-Lion et le