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Caroline de Günderode, Charlotte Stieglitz, Adolphine Vogel, autant de victimes déplorables de ce sens nerveux particulier aux organisations modernes ! « La fantaisie, écrit quelque part Novalis, est sortie comme une flamme bleue du fourneau des alchimistes du moyen âge. » J’en dirai autant de cette faculté d’analyse et de navrante rêverie que le romantisme a sinon créée, du moins développée à l’excès, et qui, en multipliant en nous les vibrations de l’art, en mettant l’âme en plus directe sympathie avec la nature, introduit en elle je ne sais quelle électricité maladive, principe éternel de trouble et de confusion. De là le côté mystique de ces bizarres suicides, produits de la réflexion, de la mélancolie, et dans lesquels l’idée prévaut sur l’acte.

« De jour en jour, écrit à Brentano Caroline de Günderode, je sens grandir chez moi ce besoin passionné d’imprimer à mon existence une formule suprême et d’aller revivre avec les grandes âmes du passé. Cette communauté, à vrai dire, est tout ce que j’envie, l’unique église vers laquelle j’aspire du sein de ce monde. » Quel désordre d’esprit ! quelles paroles pour une chanoinesse ! Et cet appel à la délivrance finale, ce rêve transcendante de s’anéantir par la mort dans l’abîme de l’être, se trouve exprimé plus nettement encore dans les lignes apocalyptiques qu’on va lire : « Ce désir de remonter vers l’Océan, source de toute vie, m’a préoccupée dès l’enfance ; mais à mesure que je m’y adonnais avec plus d’entraînement, des nuages s’amoncelaient sur ma conscience, et bientôt tout me devint obscur et confus. Peu à peu cependant ces nuages se dissipèrent, et alors il me sembla que je n’étais plus moi, que je ne retrouvais plus les limites de mon être. La goutte d’eau naguère isolée était rendue au torrent. Je pensais, je sentais, je voguais dans la mer, je brillais dans le soleil et dans les étoiles, j’étais en tout, et tout était en moi. » Étrange chose ! la personne que nous voyons là se livrer à ces divagations effrénées était d’une excessive timidité, et il faut l’entendre elle-même parler de son manque absolu de caractère pour se rendre compte du rôle que peut jouer la faiblesse dans les résolutions en apparence les plus intrépides. « Je sais combien, hélas ! je suis timide, et que trop souvent je suis incapable de défendre ce que je tiens pour la vérité contre les argumens forgés par le mensonge. Je me tais alors et demeure confuse quand ce serait aux autres de l’être, et cela va si loin, que je suis prête à demander pardon aux gens de les avoir contredits. Quand deux personnes doivent s’entendre, c’est toujours grâce à un principe supérieur qui intervient ; aussi je considère notre existence comme un présent des dieux qui la dirigent et la gouvernent ; mais raconter mes propres sensations, exposer les argumens