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Quelle a été et quelle est encore la pensée du général O’Donnell ? Le chef de l’insurrection du 28 juin a sans nul doute plus de décision dans le caractère que le duc de la Victoire. Sa politique à l’origine était bien simple : il a voulu arrêter au passage les pensées secrètes d’usurpation ; il a cherché à être le modérateur de cette révolution qu’il avait inaugurée, et qui du premier coup dépassait ses prévisions. C’est ainsi que s’explique sa conduite dans la première partie de cette crise jusqu’à la réunion des cortès. Il y avait cependant au fond de cette situation d’O’Donnell une fatalité invincible Par la sédition militaire dont il s’était fait le chef, le comte de Lucena avait profondément blessé les modérés dans leurs doctrines, dans leurs instincts, et il ne pouvait compter que sur leurs antipathies et leurs méfiances ; par ses antécédens conservateurs, il était l’objet de toutes les suspicions des progressistes. Ressentimens des uns et suspicions des autres devaient agir sur une nature passionnée et irritable. Il a fallu que le général O’Donnell donnât des gages aux opinions avec lesquelles il entrait en alliance. Sans abdiquer sans doute toute pensée modératrice, il a cédé pour rester à la tête du mouvement ; il a multiplié tous les efforts pour lier Espartero. C’était sa politique dans son propre intérêt, dans l’intérêt de la révolution à laquelle il avait attaché son nom, comme dans l’intérêt de la monarchie, qu’il n’a jamais cessé de défendre. On s’explique ainsi comment il a livré successivement les autres ministres modérés qui étaient entrés avec lui au pouvoir, M. Pacheco d’abord, M. Collado ensuite. O’Donnell est allé de concession en concession pour ne point laisser échapper les rênes de cette révolution. On peut être emporté très loin sur cette pente périlleuse, et O’Donnell a fini par se proclamer aussi progressiste que les plus vieux progressistes ; il s’est associé à tous les actes les plus compromettans. O’Donnell a réussi dans une certaine mesure : il a désarmé l’opposition, et il est resté au pouvoir ; mais tel il a fait visiblement un faux calcul. S’il avait une force véritable, telle que le duc de la Victoire et le parti révolutionnaire dussent compter avec lui, ce n’est point parce qu’il partageait leurs vues et leur politique, c’est parce qu’aux yeux de tous il représentait au pouvoir une idée modératrice, une influence distincte, rivale, sinon ennemie, de l’influence révolutionnaire. Dès qu’il n’y avait en lui qu’un progressiste de plus, il perdait sa raison d’être ; il devenait un lieutenant du duc de la Victoire, et rien de plus. C’est dans cette situation que s’est placé le général O’Donnell. Il a donné des gages malheureux au parti révolutionnaire, surtout dans la crise provoquée par la loi de désamortissement, et la difficulté est aujourd’hui pour lui de reculer ou d’avancer dans cette voie aussi périlleuse pour sa fortune que pour la destinée de l’Espagne.