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que les muscles ne se font pris assez sentir. Quoi qu’en ait dit Winckelmann, ce n’est pas là un signe de divinité : c’est un amollissement de l’art. Phidias ne s’y prenait pas ainsi pour exprimer le divin : il négligeait sans doute les détails, car sans cela il n’y a pas de grand style ; mais tout ce qui est essentiel était rendu avec une mâle vigueur et une décision énergique, sans brutalité, mais sans faiblesse. Il idéalisait en généralisant, et non en supprimant.

On croit généralement aujourd’hui que l’Apollon du Belvédère est une admirable copie en marbre d’un bronze grec. Cette supposition concilie tout, même les objections de la minéralogie. Le marbre peut être italien, la pensée est certainement grecque, l’exécution vraisemblablement romaine. Le chef-d’œuvre mieux compris reste un chef-d’œuvre. Ce sont encore des types de Phidias traduits par un ciseau romain que le Jupiter assis qu’on appelle le Jupiter Verospi et la Pallas armée. Ici l’infériorité du travail romain se fait mieux sentir, surtout dans le Jupiter, qui répond parfaitement à la description du Jupiter olympien, mais qui paraît court et trapu. On doit dire qu’il gagne à être vu d’en bas, comme il devait l’être en effet sur son piédestal. Alors on lui trouve plus de majesté. N’importe, il est trop massif, trop robuste. Les Romains ne savaient exprimer la puissance qu’en montrant la force.

Il leur était encore plus difficile peut-être de conserver à Praxitèle sa grâce qu’à Phidias sa grandeur. Que de lourdes Vénus nées du désir de reproduire la Vénus de Cnide ! Heureusement pour Rome et malheureusement pour Paris, plusieurs de ces Vénus sont venues orner, comme on dit, notre musée, où elles étalent leurs appas dodus dans la salle de la Diane. L’auteur inconnu de la Vénus du Capitole, sans s’attacher à une reproduction exacte, semble être celui que Praxitèle a le mieux inspiré. La beauté pleine et vivante de cette admirable statue trahit, par quelques détails de configuration qu’on retrouve encore aujourd’hui chez les femmes de Rome, un modèle romain ; elle a donc été exécutée à Rome, et peut-être le sculpteur était du même pays que le modèle ; mais le sentiment de l’art grec vivait en lui, et il a su le transporter dans son œuvre sans lui ôter son originalité. C’est un Romain qui a écrit en grec.

Nous ne connaissons point Praxitèle comme nous connaissons Phidias par ses œuvres, mais seulement par des copies de ses œuvres ; de ces copies très nombreuses il sort pour nous comme une émanation et un parfum de son gracieux et touchant génie. Tels sont, avec les Vénus pudiques, le jeune Apollon au lézard, le Satyre appuyé nonchalamment contre le tronc d’un arbre, l’Amour qui tend son arc. On voit partout à Rome ces reproductions mille fois répétées des types ravissans que Praxitèle a créés. Par elles, nous arrivons à nous former une idée du charme que les anciens trouvaient