Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/1239

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ose étaler sérieusement des maximes qui semblent nier la Divinité même. Et lorsqu’on fit mourir Socrate, ce fut sous prétexte qu’il corrompait la jeunesse, en confondant toutes les idées du juste et du bien.

C’était donc par le côté moral et social que devant le peuple on attaquait les sceptiques ; mais quand le principe interne de la religion n’y était pas intéressé, on ne voit pas que les dieux aient été protégés contre la discussion ou la caricature. On pouvait traiter avec aussi peu de cérémonie que des hommes ceux à qui la légende attribuait des vices et des passions humaines. Il en est plusieurs en effet qui semblent prédestinés, par la nature même du rôle qu’on leur avait attribué, à offrir le premier point d’attaque, et à laisser par leur chute la première brèche, ouverte dans le système général du polythéisme. Ainsi Vulcain, l’industrieux forgeron, qu’un travail purement mécanique a rabaissé vers les conditions grossières et ignorantes de la société humaine ; Vénus, l’épouse infidèle et la patrone des amours illicites ; Mercure, que son métier d’intermédiaire expose à bien des vilenies, et qui a dans ses attributions les tromperies du commerce ; Bacchus, qui pour son malheur avait inventé la vigne ; Hercule, le type de la force physique, grand pourfendeur de monstres, mais en même temps grand mangeur ; tous ces dieux, par leurs passions sensuelles, vulgaires, anarchiques, étaient tombés des régions célestes de la vérité et de la loi morale. Parmi les divinités supérieures elles-mêmes, plusieurs avaient un double rôle ; des légendes particulières leur avaient supposé des aventures qui les rapprochaient aussi des misères et des corruptions humaines. Considérés dans ces circonstances, ces dieux perdaient leur prestige divin, ils devenaient autres qu’eux-mêmes, et on en parlait alors d’un autre ton. C’est ce qui explique pourquoi il y a dans Homère deux sentimens, et pour ainsi dire deux styles, quand il s’agit des dieux, suivant qu’ils sont représentés dans l’exercice de leur gouvernement divin, comme des personnifications de la loi suprême, ou qu’ils n’agissent que comme les personnages d’une légende arbitraire et accréditée.

Or cette différence essentielle entre les deux caractères moraux qui ressortaient des légendes sur les dieux pouvait-elle n’être pas sentie ? N’y avait-il pas pour la conscience humaine quelque chose de trop pénible à se perdre dans cette confusion des idées morales, et à ne trouver que ténèbres dans la tradition même de la Divinité, qui devait être sa lumière ? Il y a dans l’humanité, si enveloppée d’erreurs qu’elle puisse être à certaines époques, des principes, des croyances, une éducation première qui ne la quittent jamais, et sans lesquels elle n’existerait pas. Il y a aussi un besoin intime, second privilège de notre nature, de voir clair dans ces principes et de les