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significatifs, et dont chacun entraîne l’Autriche un peu plus avant dans la voie où elle s’est engagée.

Quoi qu’il en soit, le protocole du 9 avril, qui montrait que l’accord subsistait toujours entre les grandes puissances malgré les déclarations de guerre du 27 mars 1854, le traité de Berlin, qui prouvait que l’Autriche et la Prusse entendaient aussi dans de certaines limites résister à la Russie, produisirent en Europe une vive impression, et l’effet s’en fit sentir presque immédiatement à Saint-Pétersbourg, surtout lorsque parut dans la Gazette officielle de Vienne la lettre par laquelle l’empereur François-Joseph ordonnait à son ministre de l’intérieur, M. le baron de Bach, de faire procéder immédiatement à une levée de 95,000 hommes. La cause assignée par l’empereur à cette levée extraordinaire, c’était la concentration de troupes russes qui s’opérait depuis quelque temps sur la frontière nord-est de l’empire, aux environs de Cracovie, et que la Russie justifiait de son côté par les mouvemens analogues que faisait à la même époque l’armée autrichienne en Transylvanie et dans le Bannat. C’est ici le lieu de remarquer la singulière position qu’occupent les deux empires l’un par rapport à l’autre, et de voir comment il suffit, dans le cas d’une lutte en Orient, qu’ils ne soient pas complètement d’accord pour paralyser réciproquement une partie de leurs forces. Lorsque c’est la Russie qui commence l’attaque en passant le Pruth et occupant les principautés, voyez en effet quelles inquiétudes doit inspirer à l’armée active des Russes cet éperon des Karpathes, cette forteresse naturelle de la Transylvanie, qui s’avance dans l’est jusqu’à une quarantaine de lieues du Pruth, et qui permettrait de prendre à revers tout l’armée répandue dans les principautés ! Les Russes ont aussi un moyen de faire échec à une pareille démonstration des Autrichiens en réunissant à leur tour une armée d’observation dans l’angle que forme à Cracovie la frontière allemande. Là, les Russes sont à moins de cent lieues de Vienne, et le gain d’une bataille pourrait leur en ouvrir le chemin par un pays riche et facile. C’est sur ce point que l’Autriche est vulnérable pour la Russie : c’est là aussi qu’une grande armée russe est rassemblée depuis un an, et c’est à couvrir, cette importante position que sont employées presque toutes les ressources disponibles de l’Autriche. C’est une situation d’équilibre réciproque qui a dû la rendre beaucoup plus circonspecte que la France et l’Angleterre, mais qui a eu cependant jusqu’ici pour résultat de paralyser et d’immobiliser cent cinquante ou deux cent mille Russes, plus peut-être, qu’où aurait trouvés sur les bords du Danube ou en Crimée, si l’attitude de l’Autriche ne les avait pas retenus dans le voisinage de sa frontière. Le service rendu indirectement aux puissances alliées a été réel et considérable.