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Ces démonstrations de l’Europe forcèrent tout d’abord la Russie à modifier sa position dans les principautés. Coupée de ses communications dans la Mer-Noire, ayant en face les Turcs, que pouvait bientôt appuyer un corps auxiliaire de soixante mille Anglo-Français, et devant tenir compte sur ses derrières des troupes que l’Autriche réunissait en Transylvanie, il était impossible à l’armée du prince Gortchakof de rester éparpillée dans les principautés depuis Kalafat jusqu’à Galatz sans places fortes, sans base d’opérations, sans lieux sûrs de dépôt pour ses vivres et pour son matériel. H était imprudent de ne pas évacuer le pays, et il était dur de le faine après une campagne pénible et laborieuse où l’on n’avait pas eu d’avantages capables de compenser cette retraite imposée presque sans combat, ou du moins sans avoir encore vu d’autres ennemis que les Turcs, par les nécessités stratégiques et par les manœuvres de la diplomatie. On s’ingéniait à Saint-Pétersbourg pour relever le moral des troupes, pour tâcher de sauver les apparences, pour trouver surtout quelque moyen de frapper un coup brillant sans se compromettre davantage avec les puissances allemandes. On se décida en conséquence à abandonner d’abord la petite Valachie pour concentrer l’armée sur le Sereth, et en même temps on résolut de pousser vivement les opérations qu’on, avait assez heureusement commencées sur le Bas-Danube et dans la Dobrutscha, et de les couronner par la prise de Silistrie. On satisfaisait ainsi aux nécessités de la position militaire et politique sans avoir l’air de reculer, en marchant au contraire en avant, mais en restant dans les limites où le traité du 20 avril posait le casus belli. Afin de donner plus d’éclat à ce plan d’opérations, le maréchal Paskiévitch était, au mois d’avril, nommé au commandement de l’année du Danube.

Il serait téméraire de prétendre savoir ce qui s’est passé dans les conseils de l’empereur Nicolas, et d’assurer que ce plan de campagne ait jamais été formulé aussi nettement qu’il vient d’être dit. Les résolutions des Russes, comme celles de toutes les puissances, devaient être incessamment modifiées par les événemens qui se produisaient chaque jour. Si l’on examine cependant leur conduite dans son ensemble, on verra qu’elle suppose les projets que nous leur avons prêtés ; c’est tout ce qu’on a voulu indiquer ici. Malgré la réserve qu’auraient dû lui inspirer les souvenirs de ce qui s’était passé dans la campagne de 1828, on assure que l’empereur Nicolas avait encore, en 1854, la prétention de diriger du fond de son cabinet les opérations de ses armées, et on attribue à son immixtion perpétuelle dans des événemens dont il ne pouvait pas être à Saint-Pétersbourg un juge bien compétent les revers que le prince Gortchakof a essuyés dans sa campagne d’hiver. On croit savoir encore que le siège de