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pillez-la! — A quoi M. Tasse répondit : — Tout beau, monseigneur, il ne faut pas exposer toute la communauté à un tel malheur pour le fait d’un seul ! Davantage souvenez-vous que la journée est encore longue, et que toute la bourgeoisie est sous les armes. Le régiment de M. le marquis de Leyde est à la porte Cambrésienne, et n’a pas encore donné! — Êtes-vous du magistrat? lui demanda le marquis de Louvois, qui intervint à cet instant. — Oui, répondit-il, et je viens demander la composition de la ville. — Il est trop tard, répondit M. de Louvois, et le roy est bien fasché contre vous, parce qu’on lui a rapporté que vous étiez obstiné à ne pas vouloir vous rendre ! — Je ne pense pas, répliqua M. Tasse, qu’un roy magnanime blâmera jamais un peuple pour avoir témoigné à son prince la fidélité qu’il lui devoit. Voici seulement le sixième jour que vous battez la ville, vous n’aviez pas encore emporté un dehors jusqu’à présent; si la garnison a fait une faute, est-il raisonnable que la bourgeoisie en porte la peine? De grâce, faites-moi conduire au roi! — Il n’est pas nécessaire, dit M. de Louvois, j’ai la parole de sa majesté, soyez sans crainte : les habitans auront la vie et les biens saufs moyennant une somme dont on vous parlera tantost. J’entre en ville, suivez-moi[1] ! »

Louvois vint à l’hôtel de ville, où il arrêta toutes les mesures nécessaires pour le logement des troupes; il annonça aussi aux habitans l’intention du roi qu’ils construisissent une citadelle à leurs frais. Quand on demanda au ministre la permission a de faire information sur la prise de la ville pour l’envoyer à son excellence[2], il la dénia en disant que Valenciennes n’avoit plus rien à démêler avec Bruxelles. » Malgré les murmures avec lesquels les soldats vainqueurs accueillirent l’interdiction du pillage, qu’ils croyaient leur être dû suivant les usages, la ville ayant été enlevée d’assaut, ils finirent cependant par se soumettre aux ordres du roi, et l’on commit peu de désordres dans la ville.

Le roi délégua, pour le gouvernement de Valenciennes, le comte de Bardi Magalotti, lieutenant-général, homme de beaucoup de prudence et d’une grande bravoure. Ce choix était judicieux. Natif de Florence, Magalotti devait avoir puisé dans son pays les traditions de certaines franchises municipales et de certaines libertés dont il aurait assurément à mettre l’usage en pratique avec les bourgmestres et les échevins de la ville flamande. Il justifia pleinement le choix de Louis XIV, gouverna avec sagesse la ville, où il se fit aimer, et mourut en 1691. «Ce succès, qui tient plus du prodige que de la

  1. Journal d’un bourgeois de Vallentiennes.
  2. Le duc de Villa-Hermosa sans doute.