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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/1002

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ces rêves politiques rien qu’une puérile vanité, au bout de ces théories rien qu’une mesquine ambition ? Non. Les systèmes des hommes sont, comme eux, mêlés de bien et de mal, d’erreur et de vérité. Si le duc de Saint-Simon a le fanatisme de son rang, il a par-dessus tout la haine du despotisme. Sa fière et impétueuse nature se roidit et se cabre sous la verge du maître. Au temps où il vit, il lui a été donné de contempler le pouvoir absolu dans toute sa grandeur et aussi dans toute sa faiblesse. Il a vu à quels égaremens peut s’emporter une autorité sans contrôle et sans frein, entre les mains d’un homme qui se croit d’une autre nature que le vulgaire des hommes. Il a vu ces maux, il y a cherché un remède, et son instinct d’indépendance s’alliant avec ses préjugés pour trouver une limite à l’arbitraire, une sauvegarde à la liberté, il a remonté à six siècles en arrière ; il est allé demander à l’anarchie féodale une protection contre le pouvoir d’un seul.

Et peut-être, à un autre point de vue, faut-il chercher dans cette conception politique du duc de Saint-Simon, le principe de ses préoccupations excessives pour tout ce qui touche les rangs, les honneurs, la hiérarchie des dignités. Qui peut dire s’il n’obéissait point en cela à la logique de son système ? si ces questions de préséance n’impliquaient pas pour lui de sérieuses prérogatives ? Est-ce bien en effet pour la ridicule formalité du bonnet qu’il est en querelle avec le parlement, ou n’est-ce point au fond l’ambition politique de cette compagnie qu’il combat ? S’agit-il bien seulement de contester aux bâtards le glorieux privilège de traverser obliquement la grand’ chambre, et ne songe-t-il pas aussi à protester au nom des principes de la monarchie ébranlée, et « de toutes les lois divines et humaines » outrageusement violées ?

Le même esprit d’indépendance qu’il portait dans la politique, Saint-Simon le porte avec plus de mesure, mais non moins d’énergie, dans le domaine des choses religieuses. Là aussi éclate sa haine instinctive de l’oppression, là surtout les abus de la force le révoltent, et pour revêtir des couleurs sacrées, le despotisme ne lui inspire que plus d’horreur. Non pas certes que sa foi soit tiède ni sa morale facile. Qui jamais mit en doute ou l’austérité de ses mœurs, ou la sincérité de ses sentimens religieux ? Mais sa piété est élevée autant qu’austère. À quelle source pure il l’avait puisée, lui-même nous l’a raconté, et ce trait de sa jeunesse le peint trop bien et lui fait trop honneur pour qu’il me soit permis de ne le pas rappeler.

L’une des terres qu’il avait héritées de son père était voisine de cette abbaye de la Trappe, illustrée alors par un homme qui, après avoir jeté dans le monde l’éclat d’un rare esprit et le bruit de grandes passions, s’était enseveli tout à coup dans la pénitence comme dans