Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/1084

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’heureux, je serais presque tenté de dire de faciles progrès, si je ne me reportais à la difficulté des premières tentatives.

Les découvertes de tous ces textes hiératiques, en même temps qu’elles agrandissent le domaine de nos connaissances en égyptien, apportent deux ordres de vérifications dont les égyptologues ont le droit de s’enorgueillir. — Le papyrus bilingue, qui contient cent cinquante noms propres transcrits en grec, a contrôlé les lectures proposées avant sa découverte pour un certain nombre de mots égyptiens. Pas une ne s’est vue démentie. — La découverte d’un papyrus démotique du règne de Néron, due à M. Brugsch, nous ayant fourni la version démotique d’un chapitre du rituel, on a pu s’assurer que le sens de beaucoup de mots démotiques fournis par les contrats bilingues trouvent là leur vérification. Ces mots ont invariablement confirmé les traductions proposées pour les groupes hiéroglyphiques qui leur correspondent dans ce chapitre du rituel. L’école de Champollion sent donc tous les jours le terrain plus assuré sous ses pas, tous les jours elle voit se dissiper les doutes qui s’offraient d’abord à elle en face des dénégations d’esprits jaloux ou difficiles.

On se plaint trop vivement de l’incertitude des procédés à l’aide desquels la philologie égyptienne s’avance dans un dédale de documens obscurs et incomplets. Ce reproche ne peut-il pas être fait d’ailleurs à toutes les sciences, à celles surtout qui commencent, et qui ne peuvent saisir des réalités que mêlées à bien des erreurs ? L’aperçu que je viens de donner montre comment la vérité se dégage peu à peu, en laissant graduellement sur sa route les hypothèses sous lesquelles elle était d’abord voilée. On a le tort de demander à la science un dogmatisme et un caractère absolu qui est incompatible avec elle, puisque le champ de la vérité est infini, et qu’elle n’est elle-même qu’une éternelle transmigration dans des régions de plus en plus pures. Cet infini, il est dans le passé comme dans l’avenir, et tandis que les sciences physiques et expérimentales entrevoient une perspective sans limites de lois découvertes, puis appliquées à nos besoins, l’archéologie, escortée de la philologie, armée de la critique, s’enfonce de plus en plus dans les âges écoulés et recule les bornes de nos connaissances jusqu’au berceau de notre espèce. Nulle contrée ne se prête mieux que l’Égypte à cette géologie monumentale, qui a aussi ses fossiles et ses couches sédimentaires. C’est à elle que nous sommes déjà redevables de la démonstration des deux grandes lois historiques qui dominent toutes les annales de l’Égypte : la permanence des races et la constante mobilité des langues, des croyances et des arts, — deux vérités qui sont précisément l’inverse de ce que l’on avait longtemps admis.


ALFRED MAURY.