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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/1121

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été pendus sur l’heure. L’exaspération était extrême entre les combattans, et il n’est point impossible que la lutte ne se soit renouvelée avec plus de violence depuis ces premières collisions.

Ces scènes terribles ne révèlent-elles pas tout un côté de la vie américaine ? Ne montrent-elles pas sous son vrai jour cette société qui n’est qu’un chaos puissant, une arène immense où tout est livré à l’énergie individuelle, soit qu’elle fasse le coup de fusil dans la rue, soit qu’elle aille défricher le sol dans l’ouest, soit encore qu’elle se tourne vers les conquêtes extérieures ? Quant à ces tendances envahissantes qui sont aussi un des traits du caractère américain actuel, elles ne font que s’accuser chaque jour davantage. Les Américains ont du reste une doctrine fort commode ; ils tirent des conditions du régime populaire sous lequel ils vivent les conséquences les plus imprévues. Selon eux, il est des entreprises qui peuvent être aujourd’hui illégitimes tant qu’elles n’ont pas la sanction de l’instinct national ; le jour où l’Union y trouvera son intérêt et où elles seront ratifiées par la volonté populaire, elles deviendront légitimes, et le gouvernement sera tenu de se conformer à cette volonté. M. Soulé, on s’en souvient, ne raisonnait pas autrement dans son rapport sur les conférences d’Ostende au sujet de Cuba. Il plaçait l’Espagne entre une somme d’argent et la menace d’une tentative de vive force, en ajoutant que, si l’argent était refusé, les États-Unis seraient justifiés par toutes les lois divines et humaines, parce qu’il était de leur intérêt d’avoir Cuba. Avec cela, les aventuriers américains peuvent se répandre sur tous les points du nouveau continent. Récemment encore on a vu l’Amérique centrale envahie tout à coup par une bande aux ordres du capitaine Walker, le même qui l’an dernier allait s’établir un instant dans la Basse-Californie. Walker, il est vrai, n’a point été heureux, il a été battu dans une rencontre avec les troupes de Nicaragua ; mais il est sur le point, dit-on, de se remettre en campagne, et d’un autre côté une seconde expédition vient de se diriger sur le même point : c’est celle du colonel Kinney. Après avoir été contrarié une première fois dans son entreprise par un naufrage, le colonel Kinney paraît être parvenu à débarquer à Greytown ; il se présente en colonisateur, il veut même coloniser sans l’aveu du gouvernement local. Reste à savoir ce qui sortira d’un conflit inévitable. Au surplus, il en est ainsi sur tous les points ; mais nulle part peut-être ce système de domination et d’envahissement, qui semble constituer toute la politique de l’Union, ne se dessine d’une façon plus menaçante que du côté du Mexique.

Ici malheureusement tout favorise les projets d’usurpation. Ce n’est point assurément le Mexique, bien qu’il soit la première barrière élevée devant les États-Unis, ce n’est point le Mexique qui peut opposer un obstacle à l’ambition américaine : il ne peut lui opposer que son anarchie. Depuis plus d’un an, en effet, le Mexique est en pleine insurrection. Les premiers soulèvemens datent de dix-huit mois déjà ; ils commençaient dans le sud, à Acapulco, dans l’état de Guerrero, sous le commandement du général Alvarez, et ils n’ont cessé de s’étendre peu à peu. Les insurgés se sont même approchés de Mexico en certains momens, et dans ces derniers mois la révolution semble avoir gagné Monterey, San-Luis de Potosi, Tamaulipas, tandis que des aventuriers américains réunis à Brownsville, sur le Rio-Grande, se préparaient à