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peut pas être une neutralité. Une déclaration de neutralité entraînerait nécessairement la retraite de l’armée autrichienne des principautés, et on dit que l’Autriche, dans les momens où elle ressent le plus l’embarras de sa situation, parle de quitter en effet les provinces danubiennes ; mais la retraite des principautés serait la violation d’un engagement formel contracté avec l’un des belligérans. Dès lors ne serait-il pas plus simple pour l’Autriche de se rattacher nettement à l’esprit de l’alliance de l’Occident et d’en accepter les conséquences avec la fermeté d’une grande puissance ? Peut-être même l’effet de cette résolution ne se ferait-il pas attendre, si, comme on l’assure, quelque lassitude se fait sentir à Saint-Pétersbourg, et s’il est vrai que des agens russes aient fait depuis peu des insinuations pacifiques. Ce qu’il y a de singulier, c’est que les tergiversations du gouvernement autrichien paraissent avoir remis un moment la Prusse en humeur d’intervention. Il faut bien s’entendre : la Prusse n’est nullement disposée à prendre un rôle actif ; mais elle a cherché, dit-on, à se rapprocher des cabinets de l’Occident, et il n’est point impossible qu’elle n’ait vu dans les faiblesses de l’Autriche un moyen de regagner son ascendant en Allemagne. L’alliance du 2 décembre n’a point répondu jusqu’ici à toutes les espérances qu’on avait conçues, cela est certain. Dans tous les cas, les puissances occidentales n’ont point à s’en accuser, et elles n’ont nullement à regretter leurs déférences envers l’Autriche. Leur but était bien clair. — Une alliance active avec la première puissance allemande, C’était une guerre moins longue, moins compliquée, une pacification plus prompte et plus facile. — Si l’Autriche manque à ce grand rôle, que tout lui assignait, la conséquence est malheureusement facile à prévoir. La guerre peut se prolonger et s’étendre. C’est une grande question où l’Autriche peut n’avoir plus de rôle, et où, par une singularité assez frappante, elle peut voir sa place prise par le Piémont, qui aura certainement un négociateur dans les conférences d’où sortira la paix. Le Piémont aujourd’hui gagne son rang d’état de premier ordre ; par le fait, n’est-il pas en ce moment la quatrième puissance ? n’a-t-il pas montré une décision qui semble manquer à l’Autriche ? Ainsi donc se dessine aujourd’hui la situation de l’Europe au lendemain de ces conférences de Vienne, qui ont eu du moins pour résultat de marquer le point où est arrivée la question d’Orient.

C’est à la France et à l’Angleterre maintenant de poursuivre seules ce grand but d’une pacification durable qu’elles auraient voulu poursuivie de concert avec l’Autriche. Même sans ce secours elles sont en mesure de l’atteindre, et, quels que soient les efforts qui restent à accomplir, elles obtiendront le prix de la lutte maintenant engagée. L’Angleterre multiplie les moyens pour avoir des soldats, et on dit aujourd’hui que lord Raglan va quitter le commandement de l’armée anglaise de Crimée, ce qui pourrait bien donner une nouvelle activité aux opérations militaires dans la péninsule. D’un autre côté, des mesures financières vont être sans doute décrétées en France. Le corps législatif et le sénat viennent d’être convoqués extraordinairement. Ils auront probablement à voter un emprunt, peut-être une nouvelle levée d’hommes. La rapidité avec laquelle a été couvert l’emprunt récent de la ville de Paris indique assez que les ressources de la France ne sont point au-dessous des besoins de la guerre. C’est dans les opérations financières