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et dans les travaux du corps législatif que va se renfermer pendant quelques jours la vie intérieure, vie tranquille et monotone où vient se mêler heursusement parfois quelque incident littéraire, une de ces séances de l’Académie qui rassemblent un instant un monde choisi et lettré.

Il y avait donc, ces jours derniers à l’institut une séance solennelle pour la réception de M. de Sacy. Par une coïncidence singulière, M. de Salvandy, qui avait eu déjà à recevoir M. Dupanloup et M. Berryer, se trouvait encore chargé de recevoir M. de Sacy. Après la chaire sacrée et la tribune politique, la presse avait son tour. Autre coïncidence : l’académicien auquel succédait M. de Sacy avait été lui-même un journaliste renommé autrefois, et depuis, hélas ! oublié : c’était M. Jay, le fondateur de deux journaux fameux, le polémiste classique toujours prêt à guerroyer contre les tentatives littéraires nouvelles. Il avait écrit un livre auquel il avait donné le nom de Conversion d’un Romantique. Un classique était naturellement l’auteur de cette conversion. « Pure vanterie ! a dit spirituellement M. de Sacy ; personne n’a converti les romantiques. En gens d’esprit, ils se sont convertis tout seuls, » et ils sont à l’Académie. M. Jay, à ce qu’il paraît, employait d’habitude mieux son temps qu’à convertir les romantiques. Il était heureux et vivait retiré dans le calme de la vie de famille, dans cette obscurité des hommes qui n’ont plus d’histoire. À vrai dire, la vie de M. Jay n’a été qu’un épisode dans les discours des deux orateurs. L’intérêt réel de cette séance était dans cette sorte de bienvenue donnée à la presse au sein de l’Académie. Bien loin de décliner le caractère de journaliste dans son ingénieux et remarquable discours, M. de Sacy l’a revendiqué au contraire ; il a tenu à constater qu’il était reçu pour des articles de journaux, et le journal, par le fait, n’est-il pas devenu dans notre temps une forme littéraire, une tribune politique quand il y avait des tribunes politiques, — une puissance véritable parfois ? Il s’est assoupli à tout et a fini par être un peu la littérature d’un siècle qui se hâte de vivre ; c’est une œuvre permanente, une improvisation de tous les instans, un livre qui recommence toujours, comme on l’a dit ; mais de cette œuvre rapide, de cette flamme de tous les jours, que reste-t-il bientôt ? Chose étrange, c’est à une époque où il semblait que la presse dût avoir le plus de puissance, qu’elle a reçu le plus rude coup. C’est sous la république, quand l’obligation de la signature a été imposée, ce jour-là, le caractère collectif de la presse s’est effacé. Un des mérites de M. de Sacy, c’est qu’en honorant sa profession il l’aime, et il ne l’a point caché. Il a mis ainsi une sorte de coquetterie à faire entrer la presse avec lui dans l’enceinte académique. Un autre héros de cette fête, c’est l’Académie elle-même, dont les deux orateurs ont exalté la grandeur en lui décernant le gouvernement des intelligences. Peut-être même sous ce rapport M. de Sacy et M. de Salvandy ont-ils vu ce qui devrait être plus encore que ce qui est. Si l’Académie, en effet, est quelquefois exposée à essuyer des critiques, n’est-ce point parce qu’elle manque de cette initiative, de cette puissance, de direction qui assure l’influence des grands corps littéraires ? Les discours de M. de Salvandy et de M. de Sacy ont été du reste un éloquent enchaînement d’aperçus, de jugemens littéraires et même politiques, où les deux orateurs se sont rencontrés souvent, où ils ont différé quelquefois. Il y a eu un instant comme