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mort de saint Étienne. Quelle différence n’y a-t-il pas entre cette inspiration vraiment épique et les grossières imaginations de la légende italienne ! En abrégeant le précieux récit de Chartuicius, je tâcherai de lui conserver son caractère de simplicité biblique et d’énergie parfois sauvage.

« Le roi Attila, dit le vieux chroniqueur, franchit les montagnes des Alpes, et parcourt la vaste plaine de Lombardie toute parsemée de villes florissantes, tout entrecoupée de murailles, toute décorée de hautes tours : il dévaste la campagne, il ruine les villes, il nivelle les tours, il disperse les pierres des murailles, et fait peser tant d’épouvantes et de calamités sur les habitans que ceux-ci le surnomment la plaie de Dieu.

« Une seule idée le préoccupe, celle de parcourir l’univers entier et de fouler aux pieds l’empire romain : il fait donc marcher son armée du côté de Rome ; lui-même la précède, l’âme cuirassée de férocité. À la première station de la nuit, comme il dormait sous sa tente, un ange du ciel lui apparaît et lui dit : — Écoute, Attila, voici ce que te commande le seigneur Dieu Jésus-Christ. N’entre pas avec ta colère dans la sainte cité, où reposent les corps de mes apôtres ; arrête-toi ici et retourne sur tes pas. Quand tu auras de nouveau traversé les Alpes, tu entreras dans la contrée des Croates et des Esclavons ; je te la livre, parce que les peuples qui l’habitent ont mérité ma malédiction en s’élevant contre un roi que j’aimais et le faisant périr traîtreusement, car ils ont dit dans leur cœur : Il n’y aura jamais de roi sur nous, mais nous-mêmes nous serons rois. Voici encore ce que je te promets pour prix de ta soumission : un jour viendra où ta génération visitera Rome en toute humilité, et un de tes descendans y recevra le don d’une couronne qui n’aura point de fin. » L’ange disparut à ces mots.

« Quand le matin fut venu, Attila, se rappelant son rêve, obéit aux paroles de l’ange. Il replie ses tentes, donne à son armée le signal du retour, et reprend à travers l’Italie la route qu’il venait déjà de parcourir. On eût dit que ce n’était plus Attila, tant son cœur avait changé. Il entrait dans les villes et ne les pillait point ; il passa devant Venise et l’épargna. À quelques milles au-delà, il fait halte sur le rivage de la mer et fonde une grande cité que de son nom il appelle Attileia : ce fut la ville d’Aquilée. Lorsqu’il la voit debout, il recommence sa marche et entre dans les Alpes carinthiennes, où le guide la vengeance céleste. Au revers des montagnes, il aperçoit rangés en bon ordre, avec leurs hommes d’armes, les princes de Croatie et d’Esclavonie, qui cherchent à lui couper le passage. Leurs troupes innombrables couvrent à perte de vue la plaine, les vallées, les collines, et le soleil, répercuté sur les boucliers d’or, embrase les