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les cortès, avant l’interruption de leurs séances, ont reçu des pétitions qui les engageaient à se hâter de voter enfin la constitution. Les cortès ont fort mal reçu l’avis, comme bien on pense, ce qui ne détruit pas le symptôme. Il s’est produit un fait plus caractéristique encore. Un bataillon de milice nationale de Madrid a nommé pour son commandant le général O’Donnell, et les autres bataillons paraissent également disposés à prendre pour chefs d’autres généraux amis du ministre de la guerre. Cela veut dire que les esprits fatigués demandent une direction, un gouvernement, un régime défini et stable. De là ce mot de dictature qui a été lancé depuis peu dans la polémique à Madrid. Seulement la royauté a gagné assez dans ces derniers temps pour que le dictateur ne puisse être désormais autre que le premier serviteur de la monarchie constitutionnelle. Après tout, sans avoir recours à ce moyen extrême d’une dictature quelconque, que faudrait-il pour améliorer la situation de l’Espagne ? Il suffirait d’un peu de décision, d’une volonté bien résolue à raffermir le pays ébranlé sans porter atteinte aux garanties d’un régime libéral. Peut-être les circonstances sont-elles en ce moment plus favorables qu’elles ne l’ont jamais été. Le duc de la Victoire n’a point changé de nature certainement, il n’a point acquis l’esprit d’initiative qu’il n’avait pas ; mais depuis quelque, temps il s’est montré lui-même assez inquiet des entreprises carlistes et du développement de l’anarchie. Dans ses manifestations, quelque bizarres qu’elles soient parfois, il n’omet plus le nom de la reine comme il l’omettait il y a quelques mois. Il se trouve ainsi sur un terrain meilleur. En outre, tout en jouissant du prestige extérieur du pouvoir, il accepte volontiers, dit-on, les décisions du général O’Donnell, qui reste le bras du gouvernement, et même peut-être sa tête. Dans ces conditions, ne viendra-t-il pas un moment où, sans coup d’état, par la simple impulsion d’une volonté énergique, la situation de l’Espagne pourra prendre une face nouvelle ? Telle est la question qui s’agite aujourd’hui au-delà des Pyrénées. Quoi qu’il en soit, qu’on observe ce fait d’une portée plus générale : c’est que, partout où règnent les idées, les passions révolutionnaires, le mot de dictature est dans l’air, et finit quelquefois par devenir une réalité.

CH. DE MAZADE.

REVUE LITTÉRAIRE

ÉTUDES SUR LA VIE DE BOSSUET, 1627-1670, par M. A. Floquet[1]. — Tout le monde a lu la Vie de Bossuet par M. le cardinal de Bausset. Le style en est clair, la narration facile, la doctrine en général excellente, et l’on comprend que cet élégant écrit soit devenu le complément en quelque sorte obligé des œuvres de l’évêque de Meaux. Cependant, à y regarder de près, la composition de M. de Bausset n’est pas irréprochable. D’un côté, allant droit aux principaux épisodes de la vie qu’il raconte, souvent il omet les faits intéressans qui les ont préparés, et, d’autre part, presque toujours il reproduit sans contrôle les Mémoires fautifs de l’abbé Le Dieu : voilà pour la biographie proprement dite. Le défaut du livre devient encore plus sensible, lorsqu’on

  1. Paris, 3 vol. in-8o, Firmin Didot, 1855.