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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/690

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qu’à trouver les paroles. » Ou si parfois il en traçait une rapide esquisse, le plus souvent il la rédigeait en latin.

M. Floquet, qui a déterminé d’une manière, exacte la date de la plupart des sermons de Bossuet, si maltraités par dom Deforis, fixe au mois d’avril 1656 la première apparition du célèbre orateur dans les chaires de la capitale. À cette époque, le jésuite Lingendes et l’oratorien La Boux avaient seuls jeté quelque lustre sur la prédication chrétienne, Paris d’ailleurs ne devait entendre Bourdaloue que vers 1669, Mascaron et Fléchier qu’après Bourdaloue. Bossuet donc, en réalité, n’avait ni prédécesseurs ni modèles, et de la sorte à la hauteur de son talent s’ajoutait tout le prestige de la nouveauté. Néanmoins ce ne fut qu’en 1663, le 2 février, qu’il porta pour la première fois la parole devant Louis XIV. Le roi, qui avait le goût des grandes choses, se sentit ému et charmé par cette voix si mâle tout ensemble et si douce, respectueuse comme il convient à un sujet, mais libre aussi comme il convient à un prêtre, car M. Floquet prouve fort bien, contre La Harpe, Sismondi et de modernes détracteurs, que Bossuet ne descendit jamais aux flatteries de langage ni aux bassesses de silence qu’on lui a reprochées. Au milieu de l’appareil des cours, il osa en mainte occasion plaider la cause des pauvres et le précepte de l’exemple en présence d’un monarque ivre de jeunesse et bouillant d’orgueil. Habile à démêler les hommes, le roi ne songeait point à s’offenser qu’un ministre de l’Évangile s’exprimât avec sincérité, pourvu qu’une telle sincérité fût discrète, et, n’eût-il pas eu une piété profonde, quoique flottante, il lui convenait du moins de maintenir cette espèce de subordination dont parle La Bruyère, « par où le peuple paraît adorer le prince et le prince adorer Dieu. » C’est pourquoi il n’est pas nécessaire d’imaginer le motif secret d’une servile complaisance pour expliquer la faveur constante dont Bossuet jouit auprès de Louis XIV. Comment Bossuet n’aurait-il pas révéré dans Louis XIV les éblouissantes splendeurs du pouvoir royal ? Et comment Louis XIV, à son tour, n’aurait-il pas aimé dans Bossuet ces magnificences de la parole humaine auxquelles rien ne peut être comparé, ces oraisons funèbres de la reine d’Angleterre et de Madame, pièces achevées qu’animent le souffle d’Homère et les tristesses d’Isaïe ; éloges ornés, mais aussi instructions austères ; expositions sublimes qui présentèrent aux contemporains surpris le mélange extraordinaire d’une onction pénétrante, des flammes de l’éloquence, du jeu consommé de l’acteur ?

Bossuet, en outre, ne servait-il pas merveilleusement le roi par les heureux succès de sa controverse. Et n’est-ce pas à lui qu’il fallut rapporter, avant 1669, avec la conversion de Dangeau, celle du comte de Lorge et de Turenne ? La conversion de Turenne surtout fut un coup d’éclat. Louis XIV, transporté de joie, offrit à l’illustre capitaine l’épée de connétable, et, ce qu’on aura peine à croire, Clément IX la barrette, qu’on demandait pour son neveu, Emmanuel-Théodose de Latour-d’Auvergne, abbé-duc d’Albret. Turenne refusa l’une et l’autre ; mais Rome ayant hâte de marquer sa reconnaissance à l’éminent adepte qu’on venait de lui conquérir, le pape se résolut, malgré ses répugnances, à conférer au neveu un chapeau qu’au risque d’une étrange disparate il eut préféré de beaucoup voir placé sur la tête de l’oncle. L’abbé d’Albret devint le cardinal de Bouillon. Ce fut pour l’enfant royale, comme on le nommait alors, pour ce jeune homme, qui,