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bouillon, ou d’autres délicatesses du même genre, et les enfans avaient coutume de s’attacher à mes genoux en me priant de leur dessiner une figure… Maintenant, me dis-je en regagnant mon logis d’un pas élastique, maintenant à mon propriétaire ! »


Il n’avait pas payé son logement depuis bien longtemps, au point qu’il était déjà en retard de 5,000 francs avec son propriétaire. Il nous décrit ainsi son entrevue avec ce dernier :


« Je fis dire à Perkins de monter, et je lui exposai ma situation désespérée. Il en parut fort affecté. — Perkins, lui dis-je, je quitterai votre maison si vous le désirez ; mais ce serait dommage, n’est-il pas vrai ? de ne pas achever un tel commencement. — Perkins jeta les yeux sur mon ébauche et murmura : — C’est magnifique ! Combien vous faut-il de temps pour finir ? — Deux ans. — Quoi ! deux ans sans me rien donner ? — Pas un shilling. » Il se frotta le menton et murmura : « Je n’aimerais pas à vous voir partir. C’est dur pour tous deux ; mais voici ce que je dis, vous m’avez toujours payé quand vous le pouviez, et pourquoi ne me paieriez-vous plus quand vous le pourrez ? — C’est ce que je me dis aussi. — Eh bien ! monsieur, voilà ma main (et c’était une grasse et grosse main). Je vous accorderai deux années encore ; puis, si cela ne se vend pas (et là-dessus il affecta un air fort sévère), eh bien ! monsieur, nous réfléchirons à ce qu’il y aura à faire. Ainsi ne vous minez pas l’esprit et travaillez. »


De semblables traits, où la bonté se montre si simple et si abondante, n’ont pas besoin de commentaires, et nous le répétons, c’est jusqu’à la veille de sa mort que Haydon trouva ainsi des cœurs généreux pour lui répondre. Son imprévoyance, qui semblait s’accroître avec l’âge, engloutissait vite ses ressources personnelles, et pour se tirer des impasses où il s’acculait chaque jour par sa faute, il en appelait à ses amis sans s’inquiéter s’ils étaient riches ou pauvres. Ainsi il emprunta à Wilkie une somme de 600 francs, somme considérable pour un homme qui luttait lui-même avec la gêne, mais qui combattait la bonne bataille et avec une tout autre manière d’entendre l’honneur et le devoir. Un autre pauvre débutant venait de vendre un tableau, et cela, nous apprend Haydon, l’avait arraché à la ruine. Je lui dis qu’il « était un heureux gaillard, car moi-même j’étais sur le bord du précipice. Tout de suite il m’offrit une forte somme pour me tirer d’affaire. Je n’acceptai que 850 francs. » C’était prendre beaucoup déjà dans une bourse aussi mal garnie ; mais nous cédons encore la parole à notre artiste, qui à ce moment venait d’être indisposé, et à qui son médecin avait recommandé l’usage du vin. « J’envoyai chercher un marchand de vin, je lui fis voir mon Salomon ; je lui racontai que ma santé n’était pas bonne, et je lui dis de décider s’il était juste qu’après un tel effort je fusse privé d’un verre