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de vin quand mon médecin me l’ordonnait. — Certainement non, répondit-il ; je vous enverrai deux douzaines de bouteilles. Payez-moi dès que vous le pourrez, et souvenez-vous de boire, au succès dû Salomon, le premier verre que vous viderez. »

Assurément une succession aussi constante et aussi longue de dévouemens dénote chez celui qui en fut l’objet un charme particulier, et cette puissance d’attirer, on aurait tort d’en chercher la source dans l’élévation de l’intelligence ou du caractère, dans de grandes actions ou dans une scrupuleuse rectitude. L’admiration et l’approbation n’impliquent pas nécessairement l’affection. L’amour a son cercle à part ; il se donne à des qualités qui souvent n’ont rien de commun avec la vertu ou les capacités, et s’allient même intimement à la faiblesse et aux égaremens. Pendant que la tête ne peut s’empêcher de condamner, il n’est pas rare que le cœur s’obstine à absoudre. Haydon était de ceux qui trouvent grâce de la sorte devant le cœur. Il était affectueux et expansif, prêt à prendre part à tout ce qui intéressait les autres, ouvert et bon compagnon. Il avait enfin cette magie personnelle qu’on peut appeler affabilité, souplesse d’humeur, disposition facile, mais qui, sous tous les noms, n’est pas moins indéfinissable, quoique sa présence se fasse clairement et puissamment sentir.

En pénétrant plus avant dans la vie privée de Haydon, nous voyons ressortir encore plus clairement le côté tendre de sa nature. Après tout, s’il n’avait eu que l’amabilité du bon compagnon ou de l’homme de salon, on pourrait garder des doutes. Le talent de plaire en passant est loin de signifier toujours un caractère aimant ou une grande disposition à penser aux autres : un esprit vif et dispos, une certaine gaieté d’humeur, en font souvent tous les frais ; mais Haydon fut marié, il avait fait un mariage d’inclination, et l’attachement que gardèrent pour lui sa femme et ses enfans nous le présente, comme père et comme époux, sous un jour très favorable. Ses mémoires d’ailleurs attestent suffisamment qu’il les payait de retour. Le nom de sa chère Marie et de ses enfans revient à tout instant sous sa plume, et chaque fois qu’il parle d’eux, c’est sous l’empire d’une pensée de tendresse, ou c’est pour se préoccuper de leur bien-être avec cette inquiétude anticipée qui est un si sûr indice du sentiment sincère. Sans dire enfin qu’il ait eu la pleine mesure de l’abnégation domestique, il n’est pas douteux qu’il éprouva avec force les affections de la famille et qu’il sut en remplir les obligations. Pour nous, cela pèse beaucoup dans la balance, car la vie du foyer, avec ses contacts immédiats et ses frottemens quotidiens, est la vraie pierre de touche du cœur. À moins d’y apporter beaucoup de conscience et de dévouement, on ne s’en tire pas à son honneur, et si le pouvoir