Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/868

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faible des mortels ! Pourtant, avec la bénédiction de Dieu, j’y réussirai. »

« Huit heures du soir. — Tout s’est passé au mieux. J’ai arrangé l’affaire des 175 francs, en donnant 6 francs 22 cent, pour un renouvellement d’un mois, tout cela après avoir été six heures trois quarts à dessiner, en prenant un quart d’heure pour goûter. »


Un peu plus tard, alors que son œuvre était presque terminée, il éclate en transports d’allégresse :


« Ma gratitude est inexprimable. J’ai confiance d’arriver à une glorieuse conclusion, et d’atteindre à la fin, en vainqueur, le grand but de ma vie, ce qui a été si longtemps mon espoir et ma prière…

« Quelle influence il faut que j’aie sur mes semblables pour qu’ils m’aient donné à crédit papier, toiles, crayons, services, logement et modèles, pour que les percepteurs aient consenti à payer mes impôts et les propriétaires à ne pas exiger leurs termes ! Mais toujours je leur ai fait voir mes œuvres, et ils se sont rendus. Je reprends alors mon travail et je poursuis avec extase, jusqu’à ce qu’il m’arrive quelque autre aboyeur, qui lui aussi voit et est vaincu. Une femme est venue, et à la vue du carton elle a levé au ciel le mains elles yeux en s’écriant : Oh ! la sublime ouvrage !

« Mais ce n’est pas mon influence à moi, ce n’est pas une influence humaine. »


Vers la fin de 1842, Haydon se prépara à un second carton. À cette occasion, voici ce qu’il enregistrait dans son journal :


« 29 décembre. — La toile de mon second carton est là qui m’attend. O Dieu ! bénis le commencement, la continuation et la fin. O Dieu ! rends-moi capable, avec ta seule aide, de le mener à une noble et triomphante issue, afin qu’il grandisse l’honneur de ce pays et qu’il me mette moi-même en état de soutenir avec honneur ma famille. Fais-moi la grâce qu’aucune difficulté ne m’abatte ou ne m’arrête, mais que je puisse surmonter tous les obstacles. Accorde-moi ces choses, et par-dessus tout la santé du corps et de l’âme, pour l’amour de Jésus-Christ. Amen. »

« Janvier 1843. — Rude coup de collier et beaucoup de besogne. Toute la semaine, j’ai magnifiquement travaillé avec toute la fureur, la persévérance et la vigueur du jeune temps, et demain il faut que je porte la peine d’avoir remis toutes les affaires d’argent, jusqu’à ce qu’il ne restât pas deux shillings dans la maison. Ma chère Marie résiste assez bien, — fort bien, — mais cela prend sur sa force. J’espère qu’elle tiendra jusqu’au bout comme moi. »


L’imprévoyance et l’étourderie en matière d’argent étaient chez lui incurables. Dans son âge mûr, comme dans sa jeunesse, ce n’étaient pas les vices et les débauches qui absorbaient ses ressources ; il les gaspillait, laissant les dettes engendrer les dettes, si bien que, durant ses dernières années, nous le voyons littéralement traqué de toutes parts, et que la plainte de l’homme aux abois ne s’interrompt plus sur ses lèvres. Il écrit deux mois plus tard :