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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/931

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Soutiendrez-vous que les lois de la nature sont des vérités nécessaires, et citerez-vous Montesquieu, qui les définit, au commencement de l’Esprit des lois, « les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses ? » Mais Montesquieu parle ici des vérités mathématiques et des vérités morales et métaphysiques, lesquelles en effet ont un caractère de nécessité. Or il s’agit entre nous des lois de l’univers matériel. Eh bien ! je prends la plus belle, la plus magnifique, la plus générale de ces lois, la loi de l’attraction. Est-ce là une vérité nécessaire ? J’en appelle à Newton[1], j’en appelle aux plus illustres physiciens modernes ; tous vous diront que l’attraction universelle n’exprime qu’un fait, un fait universel, révélé par l’observation, vérifié par l’expérience et le calcul. Ce fait peut-il être déduit de la nature des corps ? Non ; on le constate, on le vérifie, on ne le démontre pas géométriquement. À la rigueur donc, l’attraction universelle n’est autre chose qu’une hypothèse imaginée par Newton, et qu’aucun fait n’est venu démentir (et encore je ne parle que des faits astronomiques, des grands faits ; car si on arrivait à des phénomènes très délicats, par exemple aux phénomènes de cohésion, aux phénomènes capillaires, la généralité de la loi newtonienne serait en péril). Il en est de même, à plus forte raison, de toutes les autres lois de la nature. Ce sont des faits généralisés par l’induction et le calcul, ou pour mieux dire des hypothèses générales confirmées par l’expérience et le calcul, et rendant compte des phénomènes.

Le père Gratry dira peut-être que je rétrécis le domaine des sciences physiques, que je diminue la portée de l’induction, que les physiciens ne cherchent pas seulement des lois, mais des causes ; que l’attraction exprime quelque chose de plus qu’un fait universel, savoir une force universelle.

Ici encore j’oppose au père Gratry l’autorité de Newton. Quel autre sera plus compétent pour nous apprendre ce que c’est que l’attraction ? Ouvrez les Principes et l’Optique ; Newton vous dira[2] que l’attraction n’est pas pour lui une cause, mais une loi, c’est-à-dire l’expression générale d’un fait. Qu’est-elle en soi ? Pourquoi les corps

  1. Newton, Philosophiæ naturalis principia mathematica, lib. III.
  2. « Je n’examine point ici, dit Newton, quelle peut être la cause de ces attractions ; ce que j’appelle ici attraction peut être produit par une impulsion ou par d’autres moyens qui me sont inconnus. Je n’emploie ici ce mot d’attraction que pour signifier en général une force quelconque par laquelle les corps tendent réciproquement les uns vers les autres, quelle qu’en soit la cause ; car c’est des phénomènes de la nature que nous devons apprendre quels corps s’attirent réciproquement et quelles sont les lois et les propriétés de cette attraction, avant que de rechercher quelle est la cause qui la produit. » (Optique, liv. III, qu. 31.)
    « Je ne considère pas, dit encore Newton en parlant des forces attractives, ces principes comme des qualités occultes, mais comme des lois générales de la nature. » (Optique, liv. III, qu. 31.)