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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/932

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semblent-ils s’attirer ? s’attirent-ils en effet ? la force par laquelle ils influent l’un sur l’autre est-elle placée à leur centre ou répandue dans leurs parties ? agit-elle à travers le vide ou à l’aide d’un fluide médiateur ? Newton l’ignore, Laplace et Poisson ne le savent pas ; le père Gratry le sait-il davantage ? Ses maîtres de l’École polytechnique s’engageaient-ils à lui faire connaître les causes de la nature ? Dulong et Ampère lui ont-ils jamais proposé la chaleur, l’électricité, les fluides impondérables, comme autre chose que des hypothèses imaginées pour lier les phénomènes ? Qui sait ce que c’est que la chaleur en soi, la lumière en soi ? Quel physicien a défini la matière, l’essence des corps ? C’est pourtant là ce qu’il faudrait connaître pour atteindre les véritables causes et les véritables lois des phénomènes, pour transformer les lois contingentes de la physique en vérités nécessaires. Or, s’il en est ainsi, n’est-il pas clair que la physique, dans son essor le plus hardi, ne dépasse pas les limites de la nature ? Lois, causes, phénomènes, tout cela est fini et limité. En un mot, la physique et l’induction ne sortent pas du domaine de la contingence.

Quel rapport y a-t-il donc entre la méthode des physiciens et cette opération de la pensée qui nous élève du fini à l’infini, du monde à Dieu, des causes finies à la cause infinie, de l’être contingent à l’être nécessaire ? Le point de départ est commun sans doute : c’est la nature, c’est le champ des phénomènes ; mais le but et le moyen sont essentiellement différens : ici des lois de la nature, c’est-à-dire des faits généralisés, mais toujours contingens ; là, un être nécessaire, infini, absolu. D’un côté, des observations lentes, nombreuses, des calculs, des expériences, un progrès lent et mesuré ; de l’autre, un élan de la pensée, un élan soudain, irrésistible, qui nous fait franchir un intervalle infini. En vérité, il faudrait pousser bien loin le goût des analogies pour en trouver entre deux méthodes si prodigieusement différentes ; mais les proclamer identiques, c’est une méprise inconcevable.

Je l’avouerai, je n’ai pu lire sans scandale le chapitre du père Gratry intitulé l’Induction appliquée par Kepler. Il s’agit de décrire le procédé inductif. Pourquoi choisir Kepler pour guide ? pourquoi Kepler de préférence à Bacon, qui est le promoteur et le législateur de l’induction, ou à Newton, qui en a montré avec une égale grandeur l’usage et la théorie ? Voici le secret du père Gratry : c’est que Kepler est un chrétien enthousiaste qui a mêlé ses idées théologiques à ses découvertes et associé le mysticisme à l’astronomie. Certes personne ne peut songer à rabaisser Kepler ; mais, si par le génie il égale Newton, on conviendra qu’il en est loin par la mesure et la méthode. Il se ressent du désordre d’idées où s’agitait le génie moderne du XVIe siècle. On sait qu’il se figurait les astres comme des