Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/959

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

supériorité numérique de Mahomet ou de Bouddha, continuera de régler la civilisation et de conduire les destinées du monde ; mais est-ce là tout, je vous prie ? Si le christianisme n’a rien à redouter d’une telle comparaison, on est effrayé des efforts qu’il lui reste à faire pour introduire la lumière de l’Évangile chez ces millions et ces millions d’hommes, — chez des hommes, notez ce point, qui ne sont pas des sauvages, qui possèdent au contraire une religion déjà ancienne et complètement organisée, je veux dire tout un ensemble de pratiques séculaires, de dogmes mystérieux et d’espérances sublimes. Pour entamer ces formidables masses, ce n’est pas trop de la science et de la religion réunies. Les bouddhistes peuvent opposer à nos dogmes d’autres dogmes qui leur suffisent ; qu’opposeront-ils à la supériorité de notre science et de nos arts ? Je parle surtout des sciences fécondes, des arts utiles à l’homme. Voilà déjà l’église de Bouddha, en Sibérie, qui forme une classe de prêtres dévoués à l’art de guérir ; n’y a-t-il pas là une précieuse indication que les églises chrétiennes doivent recueillir ? « Qu’on n’allègue pas, dit très bien M. Hill avec le sens pratique de sa race, qu’on n’allègue pas la défiance des prêtres bouddhistes, qu’on ne dise pas qu’ils ne laisseront pas faire à d’autres ce qu’ils veulent bien faire eux-mêmes ; l’intérêt est plus fort que les scrupules de la foi. Supposez par exemple un missionnaire qui enseigne au cultivateur le moyen de doubler sa récolte, quel obstacle empêchera le cultivateur de lui prêter une oreille attentive ? » Seulement M. Hill se contente trop aisément des représentans de la science, et il semble en maints endroits préférer une expédition d’industriels et d’agriculteurs à une mission purement religieuse. Je voudrais que ces deux missions n’en fissent qu’une seule ; je voudrais que le missionnaire chrétien fût armé de toutes les ressources de la science ; je voudrais que chaque mission ne fût pas seulement une phalange de héros de la foi, mais une compagnie d’hommes initiés aux arts et aux métiers utiles ; je voudrais qu’il y eût parmi eux des agriculteurs, des mécaniciens, des chimistes, des ingénieurs, des médecins, — des médecins qui iraient prêter assistance aux lamas de Sibérie, et qui leur apprendraient plus de choses que les livres de Pékin ou de Lassa ; je voudrais enfin que la civilisation moderne, fille de la foi chrétienne, rendît à sa mère ce qu’elle lui doit, ce qu’elle peut lui devoir encore, et qu’elle lui frayât la route à travers ces millions de bouddhistes.

Mahomet n’est pas moins honoré que Bouddha dans les régions de la Sibérie méridionale. J’ai nommé plusieurs fois les Kirghises ; ce sont des tribus barbares et mahométanes qui ont longtemps résisté aux Russes, et qui aujourd’hui, à demi soumises, à demi indépendantes, offrent à l’observateur un curieux sujet d’étude. M.