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Hansteen a eu occasion de les voir de près, de vivre au milieu d’elles, de recevoir l’hospitalité sous le toit de leurs souverains ; il ne négligera pas cette bonne fortune, et il nous donnera de ces antiques peuples nomades une vive et dramatique peinture. Il les rencontre d’abord à Orenbourg. Orenbourg est une forteresse de première classe, construite en 1754 sur les bords de l’Oural et destinée alors à protéger les Russes contre les attaques des Kirghises. C’est aujourd’hui une grande et populeuse cité, avec trois belles rues régulièrement bâties, et, chose plus rare encore en Sibérie, un grand nombre de maisons en pierre. Elle possède neuf églises et deux bazars, sans compter le bazar d’échange ou bazar asiatique, situé sur l’autre rive du fleuve à un mille d’Orenbourg, et où se tient tous les ans une foire très importante. Ce bazar asiatique est une vaste place carrée, entourée de tous côtés par une ligne de maisons de bois où les négocians russes, persans et chinois trouvent à se loger pendant la foire. On y voit arriver vers la fin de juillet de nombreux représentans de toutes les tribus de l’Asie centrale, des Kirghises, des Boukhares, des Khiviens ; souvent même des marchands de l’Inde et du Thibet vont y rendre les visites qu’ils ont reçues des négocians de Kiachta. Pour être à l’abri des attaques pendant ces longs et périlleux voyages, ils s’organisent en caravanes de cinquante marchands environ, avec une centaine d’ânes et de chameaux. Le nombre des chameaux qui arrivent chaque année au bazar asiatique d’Orenbourg monte ordinairement à cent mille. Les Boukhares apportent du coton en bourre ou filé, des étoffes de coton et de soie, des toisons d’agneaux de Boukhara. Les Kirghises amènent tous les ans cent cinquante mille agneaux, puis des milliers de toisons et de cuirs de toute sorte, agneaux et moutons, chevaux et bœufs, renards et loups. Les marchands russes et tartares viennent vendre des objets de fabrique russe ou étrangère ; c’est pour cet échange des productions de la Russie et de l’Europe contre les richesses naturelles de l’Asie que le bazar d’Orenbourg s’ouvre une fois chaque année. Les plus humbles objets sortis des ateliers de l’Occident, des outils de fer, des ustensiles de cuivre ou de zinc, sont achetés par les Kirghises pour des marchandises d’un prix dix fois plus élevé. On évalue à deux millions de roubles le bénéfice annuel des Russes au marché d’Orenbourg. Pour maintes raisons politiques et commerciales, les Kirghises y jouissent de plusieurs privilèges que les gouverneurs de la Sibérie n’accordent pas aux habitans de Boukhara et de Khiva. Ces Kirghises sont sujets russes ; indépendans au sein de leurs steppes et soumis pourtant à la souveraineté du tsar, on veut qu’ils renoncent pour toujours à l’esprit de révolte qui naguère encore fermentait chez plus d’une tribu ; on veut aussi faciliter ce commerce dont