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Mme de Prie et ses familiers ; sans nous montrer l’état de l’esprit public sous le règne de Louis XV : c’était pourtant la seule manière d’exciter la sympathie. Si les courtisanes ont régné en France, ce qui n’est que trop vrai, il ne faut pas laisser croire que la France acceptait ce régime sans murmures, sans indignation, sans dégoût.

La Joconde, que nous avons vue au Théâtre-Français sous les traits de Mme Plessy, n’a rien de commun avec la Joconde de l’Arioste. Elle doit à sa ressemblance avec Monna Lisa le nom qu’elle porte. Il y a dix ans, elle éblouissait Florence de sa beauté. Quant à sa vertu, il n’en faut pas parler, car la Joconde appartenait au demi-monde. M. de Guitré, secrétaire d’ambassade, s’éprend de cette sirène, l’enlève à son protecteur, et va cacher son triomphe dans le fond d’une province. Au lieu de se contenter de la possession de son idole, il commet une faute énorme, il épouse la Joconde. Sa femme devient un modèle de tendresse, de dévouement ; elle parait comprendre le prix de la réhabilitation. Tout irait pour le mieux, et M. de Guitré, bien qu’il sache à quoi s’en tenir sur les antécédens de sa maîtresse, devenue sa femme, ne serait pas trop attristé par ses souvenirs, si un intrigant de bas étage, qui a connu autrefois la Joconde à Florence, ne venait le troubler dans sa retraite. Il s’agit de décider M. de Guitré à rentrer dans le service diplomatique, et Desmoutiers a promis au ministre de réduire au silence tous les scrupules du gentilhomme démissionnaire. Pour prix de sa victoire, il doit obtenir je ne sais quelle préfecture. Ce personnage, qui sert de pivot à toute l’action, par qui tout se fait et se défait, a le tort très grave de ressembler beaucoup trop à des figures de notre connaissance, et notamment à maître Destournelles. Pour s’expliquer sa présence, il n’est pas besoin de chercher longtemps. M. Régnier, collaborateur de M. Paul Foucher, a repris sous un autre nom un rôle qu’il avait déjà joué avec succès. Le public n’a pas accueilli Desmoutiers avec autant de faveur que Destournelles. M. Régnier n’a fait que suivre un usage consacré depuis longtemps parmi les comédiens ; en essayant de rajeunir un rôle applaudi sous un autre nom, il a respecté les traditions. Toutes les fois qu’un comédien prend la plume, on peut être sûr qu’il interrogera sa mémoire et ne mettra pas son imagination à la torture. À quoi bon inventer ? Ce serait vraiment peine perdue. Pourquoi risquer des effets nouveaux, puisqu’il a dans son répertoire des effets nettement définis, bien connus du parterre et dont le succès est assuré ? Je suis donc loin de blâmer M. Régnier. Le procédé qu’il a suivi, à défaut d’originalité, possède au moins le mérite de la prudence. Quoique Desmoutiers n’ait pas obtenu le même succès que Destournelles, je n’oserais donner tort au collaborateur de M. Paul Foucher. Qui sait en effet s’il