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le pouvoir permet à la plus mince intrigue de se transformer du jour au lendemain en insurrection, tout ce qui intéressera plus directement ces masses à la politique sera une garantie d’ordre et de stabilité. Ce n’est donc pas d’avoir cédé sur ses idées que les journaux septembristes devaient remercier à cette occasion l’ancien parti conservateur ; c’est d’y être resté fidèle même à son détriment immédiat, et de n’avoir pas attendu, pour appuyer deux mesures d’intérêt gouvernemental, que les siens fussent au gouvernement.

Cette liberté, dont j’entends dire assez de mal, a, comme on voit, du bon. Par elle, et rien que par elle, notons-le bien, la situation la plus baroque, la plus anarchique, la plus violente que le hasard des passions et des institutions humaines ait jamais produite, — une situation où le pouvoir était une raison d’impuissance et l’insurrection une condition de pouvoir, — se trouve en définitive réaliser des garanties d’équilibre qu’envieraient les systèmes les plus savamment conçus. Le droit de discussion et de propagande reste heureusement debout au milieu de l’affaissement simultané des prérogatives royale, électorale, parlementaire, et, grâce à lui, grâce à l’incessante responsabilité qu’il impose aux vainqueurs vis-à-vis des vaincus, cet illogisme dans le mal se reproduit comme par enchantement dans le sens du bien. La victoire se transforme en nécessité de concessions, chaque réaction en désistement, chaque lutte en apaisement de griefs, chaque insurrection en progrès de légalité. Tout choc devient, en un mot, cohésion, et tout danger garantie.

On comprend maintenant pourquoi, à la mort de dona Maria, le pouvoir royal s’est retrouvé plus fort, plus respecté, plus inébranlable qu’au début même de cette avalanche de pronunciamentos dont il était assailli depuis quinze ans. En pesant sur l’idée monarchique, l’insurrection n’avait servi qu’à la faire entrer plus avant dans le sol. Chaque apparente défaite de la couronne avait en réalité apporté à celle-ci la soumission du vainqueur. La prévoyance humaine n’aurait pas même pu rêver mieux, pour la circonstance critique d’un changement de règne, qu’une situation où le pouvoir, c’est-à-dire la nécessité traditionnelle de céder, se trouvait être le rôle de la gauche, et où l’opposition, c’est-à-dire la faculté d’exiger, échéait aux conservateurs. De cette tacite conspiration de tendances gouvernementales sont déjà sorties pour le Portugal deux réformes, dont l’une, — la substitution du mode français de recrutement de l’armée au système de la presse, — brise l’instrument de l’insurrection, et dont l’autre, — la réorganisation fiscale et financière, — déjà votée en principe, et qui mérite un examen séparé, va créer les moyens de gouvernement.


G. D’ALAUX.