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rétablissement des Stuarts, qu’il vient de publier. Ainsi fait également M. Thiers dans son Histoire du Consulat et de l’Empire, dont il met au jour le treizième volume. Les révolutions ne suivent pas toutes le même chemin, et cependant elles sont conduites par les mêmes lois, au point d’offrir souvent de saisissantes analogies à travers tous les contrastes que comporte la différence des temps et des pays. Il en est de même de ces époques qui suivent les révolutions, qui aspirent à les clore, comme le premier empire en France. M. Thiers poursuit son œuvre avec la fermeté d’un esprit éprouvé. À mesure qu’il avance, on dirait que la route s’allonge et que le sujet s’étend. Trois événemens surtout remplissent ce volume : la réunion du concile de Paris, la continuation de la guerre d’Espagne, le commencement de la fatale campagne de Russie. La guerre d’Espagne n’a plus rien de nouveau ici ; elle n’est plus qu’un ennui pour le maître glorieux de la France, qui détourne les yeux de ce champ de bataille comme d’une image obsédante de la mauvaise fortune. Les deux autres faits mettent à nu la politique impériale à ce moment décisif ; ils dévoilent les entraînemens de ce génie qui n’eut point d’égal. Certes, quand il réunissait le concile de Paris, Napoléon ne se doutait point de la portée de cet acte. Il voulait mettre fin à ses démêlés avec le pape, retenu à Savone. Qu’arrive-t-il cependant ? À peine le concile est-il réuni, le danger apparaît. Vainement on menace les évêques, vainement on en enferme quelques-uns à Vincennes. « Querelle de prêtres ! » disait dédaigneusement Napoléon ; il ne s’apercevait pas qu’il se trouvait en présence de cette chose si simple, si insaisissable et si redoutable, — la conscience religieuse. Bien mieux, comme l’indique M. Thiers, par cela même que ces vieux prélats représentaient la conscience religieuse, ils représentaient aussi en ce moment la liberté. Ils offraient le spectacle d’une assemblée qui n’obéissait pas, qui discutait, quoique en secret, dans un état où l’empereur ne voulait d’autre puissance délibérante que sa volonté. Quelle que fût la solution désormais, le coup était porté. Les préparatifs de la campagne de 1812 n’offrent pas un spectacle moins curieux dans un ordre différent. Quelle fut la raison vraie de ce choc gigantesque entre les deux empereurs, Napoléon et Alexandre ? Aucun des deux ne pouvait se l’avouer, on ne l’aperçoit bien qu’aujourd’hui. Alexandre était évidemment mécontent des suites de l’alliance de Tilsitt. Il croyait avoir acquis des droits à entrer en possession de la Moldavie et de la Valachie. Cette conquête, il la poursuivait, il ne l’avait pas obtenue. La résistance des Turcs, les obstacles que rencontraient ses armées sur le Danube, l’irritaient. De plus, dans ce partage du monde, qui avait pu un moment flatter son orgueil, il voyait assez clairement que pour Napoléon il y avait trop de deux maîtres. De là sa résolution dissimulée, inquiète, ferme pourtant, de livrer au moins un dernier combat. Napoléon, de son côté, eût été inexcusable de faire la guerre à la Russie pour la contraindre à observer strictement le blocus continental, qu’il n’observait pas lui-même. Au fond, il voyait que, malgré tout, la Prusse et l’Autriche même soumises, il restait encore au nord une puissance qu’il avait vaincue, mais qui demeurait intacte, et qu’il avait acceptée pour égale. De griefs légitimes, de raisons plausibles, il n’y en avait guère d’aucun côté, il n’en était point question. C’étaient deux forces qui sentaient qu’elles ne pouvaient vivre